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luxure aurait effrayé le seigneur Brantôme lui-même, de même que la perfidie de sa politique aurait étonné le génie de Machiavel, le favorisat devint une institution régulière, permanente, hautement avouée. Dans les cérémonies publiques, le favori prend place aux côtés de l’impératrice ; c’est un des grands fonctionnaires de l’État ; mais s’il est salarié comme eux sur les fonds du trésor, il est sujet aussi à toutes les chances de l’amovibilité. Que Catherine aperçoive en passant la revue ou sur les bancs d’un corps de garde quelque sergent à haute stature et aux larges épaules, et l’amant du jour devra s’incliner devant l’auguste choix de la souveraine ; mais il ne perd pas tout à la fois ; il emportera dans la retraite de quoi se consoler de sa disgrâce. Pour six semaines de service Wissotsky reçut 300 000 roubles, une terre de 6 000 paysans et une pension de 6 000 roubles en or, sans compter les pierreries. Les Orloff possédaient 45 000 paysans, et Potemkin, qui d’amant de l’impératrice était devenu le pourvoyeur de ses plaisirs, et avait eu l’heureuse idée d’exiger de chaque nouveau favori un énorme pot-de-vin, reçut pendant les dix-huit années de sa faveur plus de 300 000 000 de francs. Il faut lire l’ouvrage de Mme  d’Abrantès pour avoir une idée de l’horrible débauche à laquelle se livrait cette impérieuse Czarine, que Voltaire appelait la Sémiramis du Nord.

HISTOIRES CONTEMPORAINES, 3 vol. in-8, 1835. — Sous ce titre, Mme d’Abrantès a réuni plusieurs nouvelles insérées précédemment dans un recueil périodique. À ces morceaux déjà connus, elle en a joint quelques-uns inédits ; on relira avec plaisir la Danseuse de Venise et l’Ange de Saint-Jean. La Vengeance d’une femme, nouvelle inédite, est une scène de la vie privée où les passions élégantes du grand monde sont analysées avec cette finesse de touche et cette grâce dans le détail qui font presque toujours excuser l’absence d’intérêt et de vérité.

SCÈNES DE LA VIE ESPAGNOLE, 2 vol. in-8, 1836. Les Scènes de la vie espagnole se composent de trois romans, où l’on retrouve les passions et les mœurs du pays étroitement liées, habilement fondues dans le moule de l’imagination vive et exercée de l’auteur. L’amour espagnol se développe et bondit sous la plume de Mme  d’Abrantès ; il rompt les liens du sang, nivelle les conditions, et s’égare même jusqu’à l’impiété ; ce sont de riantes et terribles passions que celles qui naissent sous les orangers en fleur de la Véga de Grenade, et qui meurent sous le poignard. La description ajoute un intérêt piquant aux récits de l’auteur ; on lira avec plaisir la description de l’Escurial, palais aux vingt-deux cours, aux dix-sept cloîtres, et aux onze mille fenêtres ; et surtout celle de l’Alhambra, palais de dentelle découpé par les Maures. Dans ce riant