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de convention. Il aime une jeune première, Marianne, fille de joie et égrillarde avec laquelle il est au mieux, jusqu’au jour fatal où l’amant en titre se glisse chez Marianne. Pauvre Wilhelm, il voit tout ! Il maudit la perfide, et se met à courir la campagne. À chaque pas il fait de nouvelles découvertes : ici c’est une fille qu’un comédien enlève à sa mère ; là c’est un Hercule qui fait des tours de force ; plus loin, des danseurs de corde ameutent la ville au son du tambour ; et ainsi, de tableaux en tableaux, l’auteur, parcourant toute l’échelle de la gent dramatique, arrive au tiers du roman. Il y a toutefois dans ce livre des choses qu’un esprit vulgaire n’aurait pas faites. Par exemple, Philina est un caractère tout français : vive, joyeuse, alerte, vivant au hasard, toujours riante, une fille toute parisienne ; à quelques taches près, c’est une piquante création. « Grand merci de vos fleurs, » dit-elle à Wilhelm à sa première entrevue ; et, pour ses fleurs, elle lui donne un peigne en écaille, et elle l’entraîne droit à la guinguette ; ils vont par eau à ce rendez-vous de convives, et rencontrent dans le bateau un ecclésiastique qu’ils forcent à jouer la comédie ; ils débarquent, et sur la rive, voilà des mineurs qui jouent la comédie ; le soir ce sont des Bohémiens qui jouent la comédie au carrefour d’une forêt ; puis viennent des scènes de bouteilles, des scènes de vieux châteaux ; des enlèvements à prévenir, des princes à flatter, des vieux barons allemands à subjuguer, et Philina se charge de tout, Philina suffit à tout, Philina rit de tout : c’est le seul caractère conséquent du roman ; malheureusement il paraît sans suite, il disparaît sans raison ; puis il reparaît sans qu’on sache pourquoi ; à la fin on ne le revoit plus et on le regrette vivement. — Une autre charmante création est celle de la frêle et mystérieuse Mignon, que Walter Scott a prise à Gœthe, et qu’il a nommée Fénella ; mais la femme enfant de Gœthe est infiniment supérieure à l’imitation de Walter Scott. Rien n’est touchant comme la mort de Mignon. — Qu’avez-vous, Mignon ? s’écria Wilhelm. Elle leva sa charmante petite tête, regarda son protecteur, et, la main sur son cœur, elle sembla lui exprimer l’excès de ses souffrances. Bientôt elle se jeta à son cou avec la vivacité d’un ressort qui se détend ; un torrent de larmes s’échappa de ses yeux fermés et coula sur son sein. Mon enfant ! mon enfant ! disait Wilhelm, et elle pleurait toujours ; puis elle lui dit : — « Mon père ! veux-tu être mon père ? je serai ton enfant ! » — Si la lecture de Wilhelm Meister est quelquefois insipide, il y a certes aussi, dans cet ouvrage, de grandes beautés, des choses, nous le répétons, qu’un esprit vulgaire n’aurait pas faites.

FAUST, tragédie, traduite de l’allemand par M. A. Stepfer, in-fol., 1828. — Ce qu’on appelle ici la tragédie de Gœthe n’est non