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grandes douleurs, mais l’aliment dangereux des grandes passions. Il se dégoûte de la vie, et finit par se tuer avec un pistolet qu’il a emprunté à son rival, et qui a été donné des mains de sa maîtresse.

WILHELM MEISTER, 4 vol. in-12, 1829, traduit pas T. Toussenel. Cette traduction passe pour la plus fidèle. M. Toussenel a également traduit la deuxième époque du roman de Gœthe, intitulé Wilhelm Meister’s Wanderjahren. — Chenier, qui ne connaissait que la première époque de ce roman en deux parties, en a porté le jugement suivant : « Ce livre est trop long, quoique abrégé par son traducteur. Du reste, une intrigue bizarre et mal ourdie, une action tantôt traînante et tantôt précipitée, des incidents que rien n’amène, des mystères que rien n’explique, un personnage principal pour qui l’on veut inspirer de l’intérêt, et qui n’est qu’un ridicule aventurier, d’autres personnages que le romancier jette au hasard dans sa fable, et dont il se débarrasse par des maladies aiguës ou par un suicide, pour faire arriver, bon gré mal gré, un dénoûment vulgaire et froid. » — Malgré ce jugement sévère, Meister passe en Allemagne pour l’une des productions les plus remarquables de Gœthe, et renferme, dit-on, toute l’énigme de son génie. L’émotion y est puissante, l’exécution parfaite, le développement et la peinture du caractère merveilleux. Dans Werther, l’écrivain luttait encore contre la vie et la destinée ; la philosophie de Meister est une espèce d’optimisme poétique. Par la manière calme, exempte de passions, dont Gœthe considérait le monde et la vie, il s’était formé une façon de voir les choses également éloignée de l’ascétisme et de l’épicuréisme : chacun et chaque chose semblait bien, à la place qui lui avait été assignée. « Chaque individu, disait-il, doit travailler au bien général, et, dans le vie humaine, les effets et leurs actions sont le point principal. » Ces pensées jetaient nécessairement une lumière douce et consolante sur nos douleurs, nos passions, nos regrets, sur toute la partie sombre de la vie. Le poëte qui, dans Werther, s’était laissé séduire à une misanthropie farouche, impatiente, frénétique, s’élevait à l’idée d’une théosophie consolante. — À dire le vrai, Wilhelm Meister est un ouvrage assez souvent ennuyeux, où l’on trouve cependant des passages fort remarquables ; c’est le même sujet que le roman comique de Scarron. Wilhelm Meister est fils d’un riche amateur de tableaux et de chefs-d’œuvre italiens, par lesquels Wilhelm a reçu ses premières impressions. Enfant, Wilhelm s’est amusé à faire jouer des marionnettes ; il a composé des tragédies avec la Jérusalem du Tasse. Jeune homme, il a vu le théâtre, il s’est placé dans ce monde de carton, au milieu des ingénuités fardées, et il est devenu fou de cette nature