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même nombre de personnes, le père, la mère, trois fils qui ont aussi trois états différents, l’un diplomate, l’autre ecclésiastique, et le troisième militaire, et deux filles qui aspirent fort à changer le leur. Ce sont les protégés : tout leur prospère d’abord ; Falconner le père est un homme très-adroit, qui saisit parfaitement toutes les occasions de se rendre utile et agréable à son protecteur, qui calcule très-bien tous les moyens et toutes les chances de succès, mais son âme étroite ne saurait deviner tout ce qu’il y a de grand et d’élevé dans l’âme du ministre. Mme Falconner est bien plus habile encore : elle sent sa supériorité et en abuse quelquefois, ce qui produit entre elle et son mari des débats assez plaisants. — Tels sont les principaux personnages que miss Edgeworth met en jeu dans son roman, qui, malgré ses longueurs et ses digressions, malgré la multiplicité des épisodes et des incidents, souvent peu intéressants, porte l’empreinte d’un talent peu commun, et sera toujours lu avec plaisir.

ORMOND, traduit par Defauconpret, 3 vol. in-12, 1817. — Il ne faut pas chercher dans ce roman le développement de passions vives et fortes, les écarts de l’amour, ses folles joies et ses douleurs plus folles encore ; mais si on n’y trouve pas de ces grands événements, de ces aventures périlleuses qui font la ressource des romanciers ordinaires, et dont les romanciers habiles surent aussi se servir quelquefois, on y trouve des caractères bien tracés, une peinture fine, délicate, ingénieuse des travers de la société, et la connaissance parfaite des petites ruses du cœur humain. Ormond est un jeune homme dont l’éducation a été négligée, vertueux par sentiment, étourdi, vif, emporté par caractère, qui se distingue de la foule par une ferme volonté, et qui, toujours prêt à commettre une faute, s’arrête toujours à temps. Son tuteur, sir Ulick O’Shane, homme séduisant, aimable, né pour être bon, est un être dont l’ambition a dépravé le cœur, et qui a payé les faveurs de la fortune de sa réputation, de sa conscience, de son repos ; cupide, il veut paraître spéculateur profond ; dissipateur, il affecte la générosité ; astucieux, il feint d’être bonhomme ; ardent ami des gens puissants, on l’a vu, dans la lutte des partis, vendre sa voix au vainqueur, et abandonner sa religion pour une place au parlement. En opposition à ce caractère, l’auteur a mis celui de Cornélius O’Shane, seigneur des îles Noires, qui n’a d’autre faiblesse que celle de se croire roi de ce petit univers ; c’est un de ces caractères primitifs, francs, naturels, qu’on rencontre encore quelquefois en province. Dès le commencement du livre, une aventure malheureuse éloigne le jeune Ormond de la maison de son tuteur. Il a recours à l’hospitalité du roi Cornélius, qui le reçoit tambour battant, mèche allumée, au son d’une musique barbare,