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L’action roule sur une création qui fait le fond de ce livre et qui en fait le charme, sur l’amour de Henri Percy pour Anne de Boleyn, amour grave et religieux qui n’a pas plus de rapport avec les passions effrénées des romans modernes qu’avec les transports fades et vides des romans de chevalerie : celui-là est vrai, réfléchi et sérieux. C’est un de ces dévouements sans limites qui embrassant une vie, la remplissent et l’embellissent, ou la désolent. Henri Percy, comte de Northumberland, est jeune, considéré, opulent ; toutes les faveurs du sort sont accumulées dans ses mains, et il vit obscur et solitaire dans son château d’Almvick ! Une seule pensée, une seule douleur a dévoré toute sa destinée : il aimait Anne de Boleyn ; enfant, elle lui était promise ; mais un père ambitieux la lui enleva pour la donner au trône d’Angleterre. Elle se laisse pousser sur le trône, et Percy disparut à ses yeux éblouis dans le bruit des fêtes royales, dans l’éclat des pompes et des hommages. Plus tard elle le retrouvera dans la Tour de Londres, lorsque, prisonnière, elle attendra des juges, ce qui était en ce temps-là attendre la mort. Percy a eu toutes les douleurs ; l’oubli d’Anne, la rivalité heureuse de Henri VIII, il a tout dévoré sans se plaindre, calme, silencieux, priant Dieu pour celle qu’il a perdue et qui se perd. Resté fidèle à la religion de ses pères, une sollicitude entre autres le tourmente : comment Anne comparaîtra-t-elle un jour au tribunal qui attend tous les humains, chargée des anathèmes de la malheureuse princesse dont elle a pris la place dans le cœur de Henri VIII et sous sa couronne ? Il va aux pieds de Catherine qui meurt lui demander le pardon d’Anne qui règne et qui triomphe. Qu’aurait dit Anne de ce soin pieux si elle l’avait su, et de ce pardon s’il était arrivé jusqu’à elle ? Plus tard elle en avait besoin pour respirer en paix : toutes les grandeurs étaient tombées, toutes les illusions étaient détruites ; il ne restait plus devant les pas d’Anne épouvantée qu’un tribunal terrestre, et elle pensait à l’autre. C’est alors que Percy paraît. Il lui apporte ce que lui seul pouvait lui apporter, ce que lui seul, avec son amour inépuisable et chrétien, avait pu vouloir pour elle ; il lui apporte ses conseils, ses exhortations, sa présence, un visage ami, une voix émue, un cœur dévoué à cette heure de l’universel abandon et de l’inexorable solitude. Il lui apporte, dans l’horreur de son cachot, les trésors de son amour méconnu, de cette tendresse infinie qui a été brisée, qui a été trahie, qui a été blessée dans tout ce qu’une âme noble et fière a de sensible, et qui a persisté, n’attendant plus rien de la terre, mais croyant au ciel ; ne pouvant se persuader qu’il n’y eût rien sous tant de mécomptes qu’une folle méprise, qu’une froide ironie du sort ; aimant encore l’âme égarée d’Anne ; se sentant enchaîné par des nœuds de toute la vie et plus à cette âme