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CORBIÈRE (Édouard), ex-officier de marine, né à Brest en 1793.


LE NÉGRIER, in-8, 1832, ou 4 vol. in-12, 1834. — Le Négrier est un ouvrage remarquable d’un homme d’esprit et de courage ; officier de marine, c’est pour les marins que M. Corbière écrit essentiellement. Il se fait un devoir de reproduire les incidents de la mer et les mœurs des matelots avec une exactitude dont on doit faire cas quand on parle à des juges compétents, et cette tâche, il la remplit avec un talent ferme, énergique, auquel il ne manque peut-être que de vouloir être un peu plus artiste et élégant. Quelquefois la verve de franchise de l’auteur l’emporte, et il lui arrive de manquer de cette chasteté qui prête tant de charme à l’esprit. Les lecteurs qui ne sont pas marins ont été parfois effrayés de sa hardiesse, mais ils ont trouvé à côté de cela des portraits si vrais, si bien frappés, qu’ils ont apprécié M. Corbière à sa juste valeur.

LES ASPIRANTS DE MARINE, 2 vol. in-8, 1834. — Ce ne sont point des aventures imaginaires, c’est un épisode de sa propre jeunesse, que nous raconte dans ce roman M. Édouard Corbière. Le héros du drame, c’est Mathias l’aspirant, s’élançant à l’abordage, au milieu de la mitraille, le pistolet au poing, ou bien arrachant sa vieille frégate aux perfides étreintes des brûlots anglais. Terribles hommes que les marins de M. Corbière ! Ils tuent et se font tuer avec la meilleure grâce du monde ; ils n’ont point appris, à l’école de M. Sue, l’art de formuler en phrases coquettes et musquées un scepticisme de boudoir ; ils ne cherchent point à projeter sur un front virginal l’ombre de leurs vices ; la chique et la manœuvre, voilà tout leur bonheur et toute leur science. Ils aiment mieux pointer leurs canons que d’insulter la Providence par leurs sophismes, et démâter un brick ennemi que la vertu d’une femme.

Le sujet de ce roman rappelle, sous des noms supposés, un fait désastreux des guerres de l’empire. En croisière devant l’île d’Aix, les Anglais lancèrent un jour vingt brûlots contre la flotte française, mouillée dans cette rade, incendièrent trois bâtiments, et attaquèrent les autres le lendemain. Dans cette horrible affaire, le commandant d’un des vaisseaux ayant été mis hors de combat par un biscaïen, une terreur panique s’empara de l’équipage, qui se jeta dans les embarcations et abandonna son poste. Le commandant, ne pouvant empêcher cette désertion en masse, suivit le mouvement. C’en était fait du vaisseau, les Anglais allaient l’amariner, quand un aspirant, détaché du bord quelques heures auparavant avec vingt hommes, y revint, étonné et furieux de le trouver vide. Quelques péniches anglaises manœuvraient pour le