Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/758

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spirituels amassés dans les dervicheries pour recevoir l’étincelle sont trop pauvres. Quelle différence selon que l’expérience mystique est utilisée par le paganisme, par l’Islam ou par l’Evangile, les Pères et l’Église ! Nos mystiques chrétiens sont tellement pénétrés de la morale chrétienne qu’infailliblement, prenant pour modèle le Maître du sacrifice, ils ont une fécondité que n’atteignent jamais les Derviches ni les Soufis, qui, traduisant leur petite expérience sur une petite religion très pauvre, ont tôt fait de la dissiper et de la dissoudre dans cette danse. Et pourtant la prudente Église ne goûte guère ces moyens que possède l’Orient pour disposer de l’inspiration imprévue, pour la rendre vingt fois plus intense. De ces moyens, elle garde peu de chose, et encore ce peu, dans sa pensée, ne tend pas à l’entraînement mystique. Cette sorte de sommation à l’esprit qui tarde à venir, cette manière de fouetter les nerfs, de les exaspérer, lui inspirent une grande méfiance ; elle ne les permet qu’à des doses homœopathiques… Ici nous touchons à l’histoire des rapports de l’Église avec les mystiques, le plus beau chapitre peut-être de l’histoire comparée de l’Occident et de l’Orient…

Gloire à nos races d’Occident, à leur grande tradition religieuse et historique !


MAURICE BARRÈS.