Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/738

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magnifique problème. Mais les saints des Derviches tourneurs ont laissé dans la mémoire populaire une multitude de traits où se peignent au vif leurs ardeurs spirituelles, leur apostolat, leur ascétisme, leurs prodiges ; et grâce aux textes publiés par M. Cl. Huart, nous sommes admis dans l’intimité de ces singuliers personnages, véritables instruments de l’Esprit qu’ils ne cessent d’appeler. Nous les voyons groupés autour du grand poète qui les a recrutés sur place, ou qu’ils sont venus rejoindre, attirés par sa gloire. En somme, il n’est pas de ville au monde dont l’esprit nous soit mieux connu que l’esprit de cette Konia des saints, où je crois voir encore mon poète voltiger sur le char de feu.

Ville d’un réveil religieux et artistique. J’en bats tous les quartiers d’un pied infatigable, sans épuiser le plaisir de connaître les sites où passèrent ces voilés du trône de Dieu, ces nageurs dans la mer de la connaissance parfaite, ces révélateurs des mystères, et entre eux tous, le plus brillant, le Maître « la perle centrale des colliers de la pensée ».


Au cœur de la ville, dans le quartier musulman de Chemsi, repose Chems-eddin. Nous y sommes allés à travers des ruelles, des maisons, des jardins. De loin, mon guide me faisait voir la coupole pointue à huit pans. J’entrai dans un petit cimetière où quelques stèles étaient perdues sous de grands herbages que secouait un vent léger. Les oiseaux chantaient. Le plus touchant des cimetières turcs, enfermé dans des murs de pisé, derrière lesquels de pauvres maisons montrent à peine leurs têtes et que dominent de hauts peupliers frémissants. Entre les tombes, un sentier dallé nous conduisit à une mosquée délabrée. J’y trouvai une salle de danse, assez obscure, décorée de carreaux en débris, de lustres de cristal ternis par la poussière, et de pendeloques ébréchées. C’est une modeste succursale de la maison mère. Les derviches, à certains jours, y viennent tourner, près du tombeau dont nous sépare une cloison vitrée qui s’élève à mi-hauteur d’homme. Il est là, le noble extravagant, installé au-dessus de son puits, avec de nombreux cadeaux, cierges, boules de verre, œufs d’autruches, un lustre encore. Mais quelle solitude ! quelle odeur d’abandon, d’humidité et de roses mortes ! Ce n’est ici qu’une mosquée de quartier, une douce maison agreste et funéraire. Nulle inscription n’y rappelle le