Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/736

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des prairies et au loin de douces montagnes. À l’ombre de la mosquée, sous le plus beau platane, une dalle de marbre, évidée dans son centre, où poussent des iris, s’appuie sur un fond de faïences bleu céladon, que les visiteurs pillent et massacrent, hélas !… Quel décor plein d’invitations ! Il pourrait, il voudrait devenir poème, sonate, jeune figure féminine et mieux encore, douce acceptation, voire désir de la mort, mais, pressé que je suis, je n’en recueille qu’un enchantement stérile.

Qu’ai-je encore remarqué ? La mosquée Indjé Minarelli médressé, dont le portail ogival, formé par deux bandeaux de pierre bordés d’arabesques, me donne l’illusion de quelque chose d’hispano-mauresque, l’idée d’une décoration déjà vue à Valladolid, à Tolède. Il n’y manquait qu’un écusson aux armes…

Ailleurs, dans une grande mosquée ruineuse, de superbes tapis…

Ailleurs encore…

Mais non, des tapis, des carreaux émaillés, des entrelacs, des lettres ornementales, des iris, des roses, des chameaux et partout cette odeur d’Orient qui commence déjà en Andalousie, ce n’est plus aujourd’hui mon affaire. Konia, pour moi, c’est la ville des disciples, le lieu où l’on voit des esprits qui s’engendrent et s’enflamment.


Un des phénomènes les plus attrayants de l’univers, ce mariage des âmes se précipitant l’une vers l’autre pour se confondre, de telle manière qu’on ne peut pas distinguer Chems-eddin de Djelal-eddin, non plus que Platon de Socrate. Le type éternel de ces ardeurs et de ces échanges de maître à disciple, c’est, dans la Bible, l’aventure d’Elie et d’Elisée. Vous rappelez-vous cette scène grandiose ? Élie, l’homme de Dieu, marchait dans le désert, et il dit à son compagnon Elisée : « Demande ce que tu veux que je te fasse, avant que je sois enlevé d’avec toi. » Et Élisée répondit : « Je te prie que j’aie ton esprit… » Et comme ils continuaient leur chemin, voici un chariot de feu et des chevaux de feu qui les séparèrent l’un de l’autre. Elie monta aux cieux par un tourbillon. Et Elisée le regardant criait : « Mon père, mon père, chariot d’Israël ! » Et il ne le vit plus, mais le manteau d’Élie était tombé sur lui…

L’esprit d’Elie s’est posé sur Elisée. Quel chapitre de l’histoire