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posséder l’esprit. Quel privilège pour moi de causer avec le successeur du grand Djelal-eddin, avec l’héritier de son sang et de sa pensée !

Avec la parfaite bonne grâce d’un savant et d’un gentilhomme, le Tchélébi m’offre de lire avec moi les grands textes et de me les expliquer.

J’accepte d’enthousiasme.

Il fait chercher des branches de lis en fleurs, et les remet à chacun de nous, cependant qu’on lui apporte des manuscrits anciens du Mesnévi et du Divan.

Belle écriture simple et noble, rouge, noire et or sur parchemin. Il les feuillette amoureusement.

Simplicité, beauté, frémissement de cette scène. J’aime ces raffinements, où ne se mêle aucun luxe d’argent. Ils valent par un goût parfait, et parce que la part sensible en est subordonnée à une spiritualité.

Le Tchélébi feuilletait le Mesnévi et le Divan, tantôt traduisant, tantôt commentant, et le plus souvent, oublieux de mon ignorance, il modulait de longs passages en persan, avec la plus belle voix du monde, une voix profonde, religieuse, chantante. Je le ramenais à une plus humble besogne d’explication, et quand je voulais insister et obtenir des précisions, il riait et s’étonnait, trouvant inutile, ce me semble, qu’on exigeât tant de clartés.

Je ne veux pas rapporter ici les notes que j’ai prises durant cette belle leçon. Il me semble préférable que je les mette en œuvre, demain, dans le récit du concert auquel je vais assister. Le soir commençait à obscurcir le charmant paysage. Je vis à ma montre qu’il était sept heures passées. Depuis plus de quatre heures, je fatiguais cet homme délicat, mes deux traducteurs et le docteur Contenau.

— Ah ! lui dis-je, avec une espèce de désespoir, en me levant, il nous faudrait plus de huit jours !

Il m’offrit de me faire copier les plus beaux textes.

— Oui, mais vos commentaires ? Je voudrais rester six mois, et je commencerais à tourner.

— Ecoutez, me dit-il, je ne danse qu’une fois par an, à la fête des (le nom m’échappe). Voulez-vous que demain je danse pour vous ?

Je lui saisis la main.