Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon père, je lui dis : « Vous nous avez montré la grandeur des prophètes, des saints et de tous les personnages éminents, mais vous ne nous avez rien dit de votre souveraineté. — Eh bien ! répondit mon père, ne sais-tu pas que celui qui loue le soleil est son propre louangeur, car il prouve que ses deux yeux sont clairs. » Mais dans cet épanouissement que venait de me donner mon père, je me permis d’insister : « Assurément, vous me raconterez quelque chose de vos extases. » Il me montra la ville de Konia, ses milliers de maisons, de kiosques et de palais : « Les maisons des négociants et des notables sont plus hautes que celles des artisans ; les palais des émirs plus élevés que les maisons des négociants ; les coupoles et les pavillons des sultans et des rois de cent degrés plus hauts et plus estimés que tout le reste. Mais la grandeur et l’élévation des cieux en comparaison de ces palais sont inaccessibles. Nous autres, sur ce sol périssable, nous ne construisons pas des pavillons et des coupoles ornées de statues… »

Sur la fin de sa vie, ce grand poète s’inclinant vers son fils lui dit : « Mets cette dernière recommandation à ton oreille comme une boucle d’or… » et il murmura le vers arabe : « Sois un récit dont le souvenir est agréable, car les hommes ne consistent qu’en récit. »

Lui-même est-il autre chose ? Djelal-eddin, quel beau conte ! Mais combien plus beau encore, quand, loin des livres et dans Konia, on va le recueillir sur les lèvres de son descendant ! Retournons chez le Tchélébi.


MAURICE BARRÈS.