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« La porte et le mur disent des choses subtiles. Le feu, l’eau et la terre racontent des récits. Venez, l’oiselle est arrivée ; venez, le jardin de roses a poussé. » Alors il commença le concert : « Je ne suis pas ce corps qui est visible au regard des amants ; je suis ce goût, ce plaisir qui se produisent dans le cœur du disciple en entendant notre nom. Quand tu reçois ce souffle, quand tu éprouves ce goût dans ton âme, saisis-le comme une proie, et prends garde de ne pas perdre un instant, car, moi, je suis cela. »

La coutume était qu’après la prière du vendredi les savants, les derviches et les émirs se réunissent dans l’ermitage d’un cheikh. On se faisait de grandes politesses ; la place d’honneur étant à la tête du tapis de prière, les plus humbles s’asseyaient sur le bord ; quelqu’un posait une question ou exprimait une pensée délicate que l’on discutait ; il y avait une foule considérable ; le cheikh ne parlait qu’à la fin, pour clore la discussion. Il disait : « Il n’y a pas de fossé de Dieu à l’homme, ni de l’esprit à la matière. Le monde est un rêve de l’esprit. Le monde est inexistant. La plus haute perfection ne peut être exprimée que par la négation. »

Il était intoxiqué du goût de Dieu. Pas plus qu’une étoile ne peut quitter son orbite, il ne pouvait s’écarter de cette idée fixe : Dieu. « La mer, disait-il, la lumière, l’amour, le vin, la création et la vérité sont des mots pour désigner la plus haute hypostase. »

Il avait en haine la torpeur de l’âme. « Depuis quarante ans, contait-il, un derviche demeurait au fond d’une forêt, tout livré à l’hébétude et à la méditation de Dieu, à tel point que des oiseaux avaient construit un nid sur le sommet de sa tête. Un sage étant venu à passer par là lui allongea un formidable soufflet en l’appelant : « mangeur de choses immondes. » Le derviche s’éveilla de sa torpeur et dit : « Il y a quarante ans que je n’ai pas touché à la nourriture. Comment pourrais-je être mangeur de choses immondes ? — Bah ! dit le sage, le vent frais de l’Est, le zéphyr matinal, le printemps, font parvenir à ton cerveau des parfums agréables, et les enfoncent dans ton gosier ; ils t’apportent une nourriture à la manière des péris. Tout cela sans fatigue et sans peine de ta part. Or il a été dit : mange à la fatigue de ta main et à la sueur de ton front. »

S’il avait commandé que l’ordre des derviches fût un ordre