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Ces deux grands poèmes qui, pour nous, aujourd’hui, ne sont plus que des livres, tout Konia les a vus sortir de la vie même de l’auteur. Pendant qu’au comble de ses états mystiques Djelal-eddin tournait autour d’un pilier, c’est à son insu qu’il improvisait ces strophes et ces distiques que ses admirateurs recueillaient au vol. De là vient que certains développements restent suspendus. Il les terminait dans un transport plus ardent, et c’était alors le Ah ! ah ! ah ! des extatiques.

La beauté de ses poésies, le spectacle surnaturel de ses illuminations devaient beaucoup contribuer à détruire les reproches qu’avaient d’abord suscités ses innovations, et dont Chems-eddin avait été la victime. Sa douleur et son génie, son évidente sincérité de cœur légitimaient peu à peu sa méthode. Un jour qu’à côté de lui, une fois de plus, un savant juriste se répétait mentalement l’éternelle objection : « Comment un si grand homme autorise-t-il des concerts qui sont contraires à la loi religieuse ? » Djelal-eddin lut dans son cœur et lui dit : « O savant homme ! il y a une question de droit que je sais que tu as étudiée, c’est à savoir qu’en cas de nécessité et de faim pouvant entraîner la mort, il est permis de manger des choses mortes et des objets immondes. Eh bien ! pour les hommes de Dieu, il y a des nécessités qui peuvent être comparées à la faim et à la soif, et qu’on doit traiter par les concerts spirituels, la danse et l’extase mutuelle, sinon, dans l’excès de terreur causé par les apparitions et les lumières de la splendeur divine, le corps des saints fondrait, comme la glace devant le soleil. C’est à cette situation que faisait allusion le Prophète, quand il s’écriait : Parle-moi, ô la petite rougeaude. »

Parmi ceux qui réprouvaient la musique, il y avait le Qadi Iss-eddin. Un jour Djelal-eddin, tout en dansant, sortit du collège, entra dans la chambre du Qadi, poussa un cri, le prit par le collet et lui dit : « Lève-toi et viens à la fête de Dieu. » Il l’entraîna à la réunion des mystiques et lui montra ce qui était en rapport avec ses capacités. Alors, ayant déchiré ses vêtements, le Qadi entra dans la danse et devint un disciple.

Le roi des professeurs, Chems-eddin de Mârbîn (qu’il ne faut pas confondre avec le Soleil de Tebriz), avait été l’adversaire résolu du concert spirituel. Il niait les miracles des mystiques. À ceux qui, ayant flairé quelque odeur des vertus de Djelal-eddin, les énuméraient devant lui et disaient : « Notre maître,