en apparence, mais, par son génie natif, il a conquis la sympathie de Djelal-eddin, au point qu’il porta ombrage aux autres disciples. Ceux-ci allaient le tuer ; il prit la fuite à Damas. Djelal-eddin l’a envoyé chercher par son fils. Trois fois encore il a fui. Et puis un jour les jaloux l’ont frappé. On a entendu un cri. On ne l’a plus revu. Quelques-uns croient qu’il vit encore.
— M. le Supérieur le croit ?
— C’est la rumeur. Pourtant, sous le tombeau qui est au nom de Chems-eddin, il y a un puits. Et beaucoup pensent qu’il a été tué et jeté dans ce puits.
— Quel est le rôle exact de Chems-eddin ?
— Chems-eddin a éclairé la pensée de Djelal-eddin, à la manière d’une allumette qui allume la lampe. D’un autre côté, lui-même a dit : « Je ne me suis connu que grâce à Djelal-eddin. » Voyez-vous, il n’est pas juste de dire que Djelal-eddin a introduit dans le monde le concert spirituel, mais il l’a surélevé. Chems-eddin et Djelal-eddin se combinent de manière à former un composé qui diffère de chacun d’eux. C’est de leur rencontre qu’a jailli la doctrine. Ils étaient indispensables l’un à l’autre. Djelal-eddin a composé le Mesnévi après qu’il eut perdu Chems-eddin et à cause du grand chagrin qu’il ressentait de cette disparition. En cela il l’a écrit par Chems-eddin. Et son Divan, c’est le recueil des poèmes qui expriment son amour pour Chems-eddin. Il l’écrivit tout imprégné de l’esprit de son ami.
— Ah ! monsieur le Supérieur, que de questions vous faites lever en moi que je dois ajourner, et peut-être à jamais ! Pourtant, je voudrais savoir si Djelal-eddin a laissé des institutions, une règle, comme en possèdent nos ordres religieux.
— Il a laissé un livre très détaillé, Minhaz el Fakara, la voie des pauvres. Pauvre, dans ce sens, veut dire derviche. Pour comprendre notre Maître, on doit d’abord étudier le Mesnévi, qui donne tous les détails, l’instruction concernant l’ordre, et ensuite le grand Divan, qui initie au sentiment d’amitié, d’admiration, d’amour que le poète vouait à Chems-eddin. Mesnévi, c’est la préparation ; le grand Divan rien que l’amour. Le grand Divan est très élevé, et tout le monde ne peut pas le comprendre. Ces deux ouvrages ont l’un et l’autre inspiré les règlements que vous demandez.