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femme. En droit, la question était très délicate. Je plaidai, non sans quelque succès, devant la Cour, et des avocats présents à ma plaidoirie me firent compliment ; mais ce procès eut une singulière issue : il rapprocha le mari et la femme qui, sans recommencer la vie commune, se réconcilièrent, et 1 affaire, que j’aurais peut-être gagnée, fut retirée du rôle.

Cependant la vie politique reprenait peu à peu dans le pays qui sortait de son indifférence. Une assez vive reprise d’opposition signala les élections du printemps de 1863. A ces élections je ne pris nulle part, pour cette bonne raison que je n’étais pas encore électeur, n’ayant atteint que le 21 septembre de cette année l’âge de vingt et un ans. Il n’en fut pas de même aux élections de 1869. Je fis partie du comité qui soutenait la candidature de M. Thiers à Paris. Cette candidature était fort combattue, et maladroitement, par le Gouvernement. La situation électorale de M. Thiers était assez singulière. Très courageusement il avait, au Corps législatif, défendu la cause du pouvoir temporel du Pape, car il était un adversaire passionné de l’unité italienne. Cette attitude lui avait valu une certaine popularité dans les salons du faubourg Saint-Germain. Je me souviens d’une soirée où il fut reçu chez le duc Pozzo di Borgo, dans le grand salon de l’hôtel occupé encore à l’heure actuelle par ses descendants. Il était très entouré. « Comptez combien il y a de ducs entre les jambes de M. Thiers, » dit assez drôlement mon ami, le jeune duc de Fezensac. Les griefs légitimistes contre le ministre de la Monarchie de Juillet qui avait soudoyé Deutz pour qu’il trahit la Duchesse de Berry étaient oubliés. Mais cette nouvelle attitude, fort louable, ne lui en était pas moins reprochée dans les milieux démocratiques. Aux élections de 1863, il n’avait pas eu de concurrent. Aux élections de 1869, il en eut deux : le chocolatier Devinck et l’ancien pair de France d’Alton Shée, devenu radical. La lutte fut assez dure ; il ne passa qu’au second tour[1]. Comme il ne fréquentait pas les réunions, nous nous entendîmes, un certain nombre de jeunes gens, pour aller l’y défendre et comme, pour pénétrer dans une réunion publique, il fallait être ou électeur dans la circonscription ou candidat, nous prêtâmes le serment exigé des candidats, formalité qui consistait à déposer à la Préfecture de

  1. Je possède une lettre de M. Thiers où il m’envoie un volume de ses discours et me remercie de mon dévouement à sa candidature.