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l’étude Denormandie, car on m’avait dit avec raison que ce stage était indispensable à qui voulait pratiquer sérieusement le barreau. Assurément, ce stage en lui-même ne m’a pas été inutile, mais je me souviens cependant de ce que me dit M. Denormandie lui-même, qui avait beaucoup d’esprit, le jour où je vins prendre congé de lui, comme patron. « Croyez-vous, lui demandai-je un peu naïvement, que je pourrai avoir des clients ? — Oui, me répondit-il, mais à une condition. — Laquelle ? — Ce sera que vous les payez. » Deux ou trois ans après, un pauvre diable pour qui j’avais plaidé sans succès, devant les assises, vint me voir. Il paraissait fort misérable. Je lui donnai cent sous. « Voilà, me dis-je en dedans, que je paye mes clients ! »

Le cabinet d’Hébert, lorsque j’y entrai, était fort achalandé. Il distribuait, pour une étude préalable, les affaires dont il était chargé, entre ses secrétaires. Malheureusement pour lui et pour moi, il eut, après mon entrée, une demi-attaque d’apoplexie qui non seulement l’empêcha d’accepter de nouvelles affaires, mais lui fit liquider les anciennes. Parmi ces affaires se trouvait un procès intenté par une jeune et jolie actrice à un prince russe. Le prince l’avait entretenue longtemps et je crois même qu’elle avait eu des enfants de lui ; puis il l’avait abandonnée et elle réclamait une pension. Hébert avait accepté de défendre les intérêts du prince : mais si grande était la confiance qu’inspirait son esprit d’équité que l’avocat de l’actrice proposa lui-même de le prendre comme arbitre. Hébert fit venir la demoiselle ; ayant été chargé de la préparation fe l’affaire, j’assistai au rendez-vous. L’actrice fit valoir ses droits, et peu à peu elle rapprochait sa chaise, en minaudant, de celle où était assis Hébert, derrière son bureau. « Cessez, Mademoiselle, finit par lui dire Hébert, cessez ces petites manières qui sont tout à fait inutiles avec moi. » Mais il n’en avait pas moins été flatté de ce qu’elle avait accepté son arbitrage. « Cette enfant, me dit-il, a mis sa confiance en moi, je ne veux pas lui donner à boire dans un verre vide, » — et il conclut pour elle une transaction dont elle n’eut pas à se plaindre.

Comme secrétaire d’Hébert, je fus encore mêlé à une affaire intéressante. Les enfants de George Sand, de son vrai nom Mme Dudevant, c’est-à-dire Maurice Sand et Mme Clesinger, plai-