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nelles et qu’il était passé maître dans la défense des mauvaises causes, comme le sont généralement les causes confiées aux avocats d’office. Aussi était-il toujours renommé membre du Conseil de l’ordre.

Puisque j’ai commencé à parler de l’ancien barreau, je dirai un mot de Berryer. Je n’ai jamais eu de relations personnelles avec lui, mais il y régnait encore au moment où je débutai. Je me souviens qu’un jour où il parlait à la première Chambre du tribunal, dont les portes donnent dans la salle des Pas Perdus, il avait fallu laisser ces portes ouvertes, tant l’affluence était grande et on l’entendait dans la salle. On connaît son mot, alors qu’il avait de la peine à déchiffrer une pièce de procédure : « Je ne sais ni lire ni écrire, » mais il savait parler, et il avait non seulement la voix, mais le geste « qui achève la parole, » disait Lacordaire et dont il savait se servir aux fins les plus diverses. C’est ainsi qu’un jour, à la Chambre des députés, Granier de Cassagnac, le père de Paul de Cassagnac que ma génération a connu, l’ayant grossièrement interrompu, comme toute la Chambre se demandait ce qu’il allait répondre, il se borna à un geste d’épaules qui traduisait son dédain et continua après avoir dit : « Ce n’est rien. » Il était très populaire au Palais, en raison de l’éclat qu’il jetait sur le barreau parisien, et lorsqu’il mourut, des funérailles solennelles, où se pressa le monde judiciaire et politique, lui furent faites à Angerville.

Hébert, dont je viens de parler, avait au Palais une situation considérable due à la considération dont il était environné et à sa science juridique bien plus qu’à son éloquence, car sa parole était sans élégance et rude. Mais il était universellement respecté et ce respect alla un jour jusqu’à une tolérance dont n’aurait bénéficié aucun autre que ce dernier garde des Sceaux de la Monarchie de Juillet. Il avait plaidé dans une affaire où le Constitutionnel, journal bonapartiste et favorisé par M. de Morny, avait des intérêts. Il perdit le procès, mais entendant l’arrêt de la Cour qui lui donnait tort, il dit à voix haute en jetant sa toque à terre : « Je ne plaiderai plus devant des magistrats prévaricateurs. » Seuls les conseillers à la Cour ne l’entendirent point, en apparence du moins. Je fus l’un de ses secrétaires, mais auparavant j’avais passé un an, comme clerc amateur, dans