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suffrage universel, si favorable à l’Empire, du moins pendant les premières années, avait relégués dans l’oisiveté politique et condamnés en quelque sorte à l’opposition. D’anciens ministres de la Monarchie, comme Hébert, y coudoyaient d’anciens ministres de la République, comme Dufaure. Ces deux grands avocats plaidaient souvent l’un contre l’autre et n’étaient pas très bien ensemble. Un autre grand avocat d’alors, qui devait plus tard entrer aussi dans la politique, mais qui n’y joua jamais un rôle considérable, était Allou.

Il s’était présenté à la députation, mais sans succès. C’était le moment où Gambetta, en déclarant qu’il n’accepterait d’autre mandat que celui d’une opposition irréconciliable, avait fait la fortune de cette épithète. Allou, à qui l’on demanda dans une réunion publique s’il se rangerait du côté des irréconciliables, crut se tirer d’embarras, car le nombre des modérés était grand dans sa circonscription, en répondant : « Je ne suis pas un irréconciliable, mais je ne me réconcilierai jamais. » Réponse ambiguë, qui ne fut du goût de personne. Ce fut, si je me souviens bien, sous la République qu’il devint sénateur, au temps où le Sénat se recrutait par cooptation, ce qui, soit dit en passant, est un excellent mode de recrutement. Mais au barreau, il occupait une place importante. Sa parole était facile, abondante, élégante, un peu molle. Celle d’Hébert, de qui je reparlerai tout à l’heure, avait beaucoup moins de charme, mais elle était plus vigoureuse. Elle entrait, comme un coin, dans la partie la plus faible de la plaidoirie d’Allou et la démolissait.

Il y avait encore au Palais un avocat de grand talent, oublié aujourd’hui. Il s’appelait Nicolet et plaidait, sinon très vigoureusement, du moins très brillamment. Mais aux yeux du jeune barreau, il avait une tare : il était bonapartiste et avait été, Dieu me pardonne, à Compiègne. Aussi ne put-il jamais parvenir au Conseil de l’ordre. Un autre avocat, bonapartiste également, y parvint cependant : c’était Lachaud. Lachaud était un grand avocat d’assises : il avait débuté en plaidant pour Mme Lafarge, accusée d’avoir empoisonné son mari, et il a pris la parole dans presque toutes les grandes affaires criminelles. Le jeune barreau lui pardonnait ses opinions, parce qu’il défendait toujours vigoureusement, contre les présidents d’assises, les droits des avocats chargés d'affaires criminelles ou correction-