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elles pour me rappeler la soirée de l’attentat d’Orsini. C’était en janvier, un samedi. Ma mère avait ce jour-là une loge aux Italiens. Comme j’aimais beaucoup la musique, elle m’y menait quelquefois, bien que je ne fusse pas encore tout à fait arrivé au terme de mon éducation, et c’est grâce à elle que j’ai encore entendu Mario, l’incomparable ténor, dont le vrai nom était, si je ne me trompe, le marquis del Candia, la Grisi, soprano célèbre, et l’Alboni, contralto non moins célèbre qui était très forte et dont on disait que c’était un rossignol chantant dans un éléphant. J’étais donc aux Italiens ce soir-là. M. Thiers y avait une loge également. Au cours de la représentation, on vint le prévenir qu’un attentat avait été dirigé contre l’Empereur sur le péristyle de l’Opéra. Il en avertit mon père, qu’il pria d’aller aux informations ; mon père m’emmena avec lui. On nous laissa franchir la consigne qui barrait l’entrée de la rue Le Peletier où l’Opéra était alors situé, et je me souviens d’avoir remarqué les larges taches de sang qui se détachaient sur la boue du pavé. Je me souviens également d’un homme d’un certain âge qui avait trouvé comme nous le moyen de franchir le cordon de police et qui courait comme un fou, répétant à haute voix : « Mon enfant ! Où est mon enfant ? » Mais la police ne nous laissa pas pénétrer dans le bâtiment de l’Opéra, où du reste nous n’aurions rien appris, et nous revînmes trouver M. Thiers sans avoir de nouvelles à lui apporter.

A Dieu ne plaise que je veuille plaider les circonstances atténuantes en faveur d’Orsini ! Mais les détails de son procès montrèrent qu’il n’était pas un assassin vulgaire. Entre autres, je me souviens de celui-ci. Venant d’Angleterre, la patrie, sous tous les régimes, de tous les conspirateurs, il avait mis tout simplement dans sa malle la poudre explosive dont il comptait remplir ses bombes, sans autre précaution que de la mouiller. Arrivé à l’auberge, il la déballa, la mit devant une cheminée, et, tranquillement, il s’assit à côté, un thermomètre à la main, attendant que la chaleur du feu l’eût fait sécher. Une étincelle, et tout sautait, lui compris.

Pendant la lugubre toilette qui précède pour les condamnés le voyage de l’échafaud, son complice Pieri, condamné en même temps que lui, s’agitait et proférait des déclamations révolutionnaires. « Tais-toi donc, et tiens-toi tranquille, » lui