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refusa de faire partie du Sénat sous l’Empire, mais sa théorie était la suivante : « Depuis la Révolution, il n’y a pas eu de gouvernement légitime en France. Tous ont été des expédients. On a eu raison de les servir, tant que leur politique a été conforme aux intérêts généraux du pays, et de les abandonner, quand elle est devenue contraire à ces intérêts. » Ce qui n’empêche pas qu’une juste considération s’attache à ceux qui sont demeurés fidèles à un premier et unique serment, surtout lorsqu’à cette fidélité ils ont fait quelque sacrifice. Mais d’autres, très considérés également, tenaient que la formule du serment imposée à tout candidat à un mandat électif, — obéissance à la Constitution, fidélité à l’Empereur, — n’impliquait pas autre chose que la renonciation aux moyens de l’opposition révolutionnaire et n’engageait à rien vis-à-vis du chef de l’État. Cette question du serment fut, je crois m’en souvenir, bien que je fusse très jeune, discutée dans une réunion qui se tint chez le duc de Broglie, et résolue sans vote précis (pour autant que je sache), en ce sens que le serment pouvait être honorablement prêté par les fidèles des régimes antérieurs. Mais le refus rendu public du serment devint une des formes de l’opposition jusqu’au jour où, en réponse à ces manifestations, une loi intervint qui imposa le serment comme obligation préalable à toute candidature.

Pour être tout à fait impartial, il faut reconnaître que, durant les premières années de l’Empire, l’opposition, latente, mais obstinée, chez beaucoup de fidèles des régimes précédents, ne savait guère où se prendre. Le pays était visiblement satisfait. L’alliance anglaise, l’heureux succès de la guerre de Crimée, la victoire de l’Alma, la prise de Sébastopol avaient donné satisfaction aux instincts militaires du pays ; le Congrès de Paris, la réunion dans la capitale de la France des souverains alliés ou de leurs représentants avaient flatté son amour-propre, et cette réunion effaçait le souvenir de ces premières années de la Restauration où des souverains européens ou leurs représentants étaient également venus à Paris, mais pour y dicter des lois. Le mariage de l’Empereur, à qui on savait gré de ne pas s’être exposé aux rebuffades des souverains légitimes de l’Europe, la beauté de l’impératrice, la naissance sitôt survenue du Prince Impérial, tout semblait indiquer que l’Empire avait le vent dans les voiles. Je me souviens d’avoir, encore presque