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Broglie. Il redoutait beaucoup la traversée de la Manche et, après un très mauvais passage, je me souviens de lui avoir entendu dire en plaisantant : « Les princes d’Orléans ne sauront pas combien nous leur sommes dévoués, tant qu’ils ne nous auront pas vus sur mer par un gros temps. » J’assistai moi-même à cette cérémonie, mais je n’accompagnai pas mon père dans ses nombreux voyages en Angleterre, car j’étais alors en éducation et j’en reviens, après cette longue digression, aux souvenirs personnels que j’ai conservés de l’opposition libérale sous l’Empire.

L’opposition, sous l’Empire, se divisait, — je ne parle en ce moment-ci que théoriquement, et au point de vue des principes, — en trois groupes : le groupe légitimiste et catholique, le groupe qu’on appelait tantôt orléaniste, tantôt libéral, et le groupe républicain.

Le groupe légitimiste se composait de ceux, assez nombreux dans l’aristocratie française, moins nombreux dans la bourgeoisie, rares dans le peuple, sauf dans certaines circonscriptions du Midi, qui étaient demeurés fidèles à la branche aînée des Bourbons. Cette fidélité était de doctrine plutôt que de fait, un assez grand nombre de légitimistes ayant profité de la permission que, sinon officiellement, du moins officieusement, leur avait accordée M. le Comte de Chambord pour se présenter quelques-uns, — mais en très petit nombre, — aux assemblées législatives, les autres aux Conseils généraux dont leur situation de grands propriétaires territoriaux facilitait à beaucoup l’accès. Pour être membre d’un Conseil général, il fallait avoir prêté serment. Avec raison, et faisant preuve en cela de plus d’esprit politique qu’il n’en devait témoigner plus tard, M. le Comte de Chambord le leur permit, et puisque l’occasion s’en trouve naturellement sous ma plume, je voudrais dire un mot de cette question du serment que j’ai beaucoup entendu discuter dans ma jeunesse.

« Un serment est aussi bête à demander qu’à refuser, » disait sur le tard de sa vie le chancelier Pasquier et il ajoutait : « J’en ai prêté treize, en suis-je moins considéré ? » Le chancelier Pasquier, ancien conseiller au Parlement de Paris, ancien préfet de police sous l’Empire, ancien ministre sous la Restauration, ancien président de la Chambre des Pairs sous le Gouvernement de Juillet, ne se montra pas très conséquent avec cette déclaration de non-principe, lorsqu’il