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que la malle était à elle, mais ma mère, qui s’inquiétait de ne pas la voir reparaître, survint tout à coup. Le stratagème était découvert, et ma mère fut consignée dans une chambre d’hôtel à la disposition de la police. Je me souviens très bien de la soirée agitée qu’elle passa, se demandant si elle n’allait pas être poursuivie. Mais, traduire en police correctionnelle la fille du duc de Broglie, sous la prévention d’introduction clandestine de brochures séditieuses, c’était beaucoup, même pour le régime d’alors. On la laissa repartir le lendemain.

Le séjour de mon père et de M. Thomas en Belgique ne devait pas durer. Le Gouvernement français porta plainte et la petite Belgique, qui tremblait pour son indépendance, n’était pas de force à résister. Mon père fut traduit devant le jury pour outrages au chef d’un Gouvernement étranger. MM. Berryer et Odilon Barrot s’étaient proposés pour venir le défendre. Mais mon père, ayant lieu de craindre que la rentrée en France ne leur fut purement et simplement interdite, déclina leur concours et se défendit lui-même, assisté par un avocat belge, M. Bartels. Il le fit avec beaucoup de dignité et de mesure, car la situation était délicate. C’eut été une faute, en effet, de blesser le Gouvernement en se plaignant d’une mesure prise par lui. Mais l’opinion belge, toujours jalouse de l’indépendance du pays, était avec lui. Il fut acquitté par le jury et sa sortie de l’audience fut saluée par des applaudissements.

Mon père n’en fut pas moins obligé de quitter la Belgique. Il se rendit en Angleterre, où il espérait pouvoir continuer la publication du Bulletin Français. Un ou deux numéros parurent, chez un libraire nommé Jeffs, mais la difficulté d’introduire cette publication en France et le sentiment du peu d’effet qu’elle produisait finirent par le décourager, et la publication cessa. Mon père n’en demeura pas moins en Angleterre, où il avait loué, aux environs de Twickenham, qui était la résidence du Duc d’Aumale, et que celui-ci se plaisait déjà à embellir, une modeste habitation appelée : Brougham Hall. Twickenham est à peu de distance de Claremont, grand et triste château, appartenant au roi Léopold, que celui-ci avait mis à la disposition de sa belle-mère, la reine Amélie, et d’une autre habitation beaucoup plus petite, que la Duchesse d’Orléans avait louée dans le village d’Esher. C’est de ce séjour à Brougham Hall et de ce voisinage que datent les premières rela-