Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/493

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’on se fera tuer pour vos vingt-cinq francs ! » dit un ouvrier au représentant Baudin ; et l’on connaît la belle réponse de Baudin : « Mon ami, vous allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs. » Mais elle se souleva le lendemain et la légalité était du côté de l’émeute sur laquelle la troupe tirait, sur les boulevards ou ailleurs. C’est ensuite que l’Assemblée législative, divisée, impuissante, et par conséquent peu populaire, était, en majorité, composée d’hommes honorables et considérables. Envoyer en prison, ou en exil, des hommes, comme le duc de Broglie, Thiers, Changarnier, La Moricière, Cavaignac, était un début fâcheux pour un régime qui prétendait restaurer l’ordre public en France. Le régime se ressentit toujours de n’avoir pu s’établir et s’appuyer, du moins à ses débuts, que sur des hommes dont plusieurs n’avaient pas encore la situation politique considérable à laquelle ils sont parvenus plus tard, et dont quelques-uns, élégants endettés, étaient « nu-pieds, dans des bottes vernies, » comme le devait dire une publication d’opposition ardente, dont je reparlerai tout à l’heure. Mais l’immense majorité de l’opinion publique n’en était pas moins du côté du Président, comme en témoignèrent les 5 434 226 voix du plébiscite qui suivit, et le régime de compression et de silence qui triompha pendant plusieurs années répondait aux vœux du plus grand nombre des Français, fatigués des excès de la presse révolutionnaire et des débats parlementaires stériles. Quelques natures fières ne prirent cependant pas leur parti de ce silence. De ce nombre fut mon père.


II


Mon père appartenait à une génération qui avait le culte de la liberté pour elle-même. Pour la nôtre, la liberté est un moyen, un instrument et surtout une habitude dont nous ne pourrions plus nous passer. Je ne crois pas qu’aucun régime puisse jamais être assez fort pour réduire la France à ne plus tout dire, tout entendre, et presque tout faire. Mais la liberté, ainsi comprise, n'est plus un idéal. Il n’en était pas de même pour les générations précédentes. Elles avaient le culte de la liberté pour elle-même, et l’écrivaient avec une majuscule.

Sous l'Empire devait, quelques années plus tard, paraître un recueil qui voyait le jour à intervalles irréguliers, et en