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Quai d’Orsay, — et la détention ne fut pas de longue durée, mon grand père ayant eu un accès de goutte et ayant été remis au bout de très peu de jours en liberté. Mais une prison, c’était pour moi un lieu où l’on enfermait les assassins et les voleurs, et l’idée que mon grand père était enfermé avec eux m’indignait.

C’est peut-être la vivacité de cette impression première qui m’empêche de trouver juste l’expression « d’opération de police un peu rude » dont mon brillant confrère et ami, Eugène-Melchior de Vogué, encore pleuré par les lettres françaises, s’est servi, dans un discours académique, pour qualifier l’acte du 2 décembre, ainsi que le rapprochement qu’on a souvent établi entre cet acte et le 18 Brumaire. Je voudrais en dire mes raisons, fût-ce aux dépens de la chronologie de ce très simple récit.

Le 18 Brumaire fut un acte de salubrité publique. Il était dirigé contre une assemblée avilie et un gouvernement à la fois violent et débile. Il ne coûta pas une goutte de sang et ne souleva aucune protestation, même chez ceux qui devaient, comme Mme de Staël, souffrir plus tard de ses conséquences. Les trois millions de voix et plus qui, quelques mois après, ratifièrent la Constitution de l’an VIII, ne firent que traduire le consentement et, ce n'est pas assez dire, la joie publique. Voici comme le duc de Broglie, lorsqu’en 1855 il remplaça le comte de Sainte-Aulaire à l’Académie française, parla du 18 Brumaire, le jour de sa réception : « Quelque jugement qu’on porte sur la nature et le caractère politique de cet événement, il fut heureux pour la France. On peut tout exagérer, mais non pas le grand service qu’il lui a rendu. On peut tout exagérer, mais non pas l’état où cet événement a trouvé la France, après huit ans de bouleversement. La France était aux abois, épuisée de son meilleur sang par l’échafaud et la guerre, décimée par les coups d’État, par la déportation sur un rivage empesté. Ses ennemis entamaient sa frontière et se disputaient déjà ses dépouilles. Plus de sécurité sur son territoire, pour rien ni pour personne : l’emprunt forcé, la loi des otages, plus de culte, les temples fermés ou profanés. Des nuées d’oiseaux de proie s’engraissaient, sous des noms divers, du peu qui lui restait de substance. Ses lois s’acharnaient à détruire le peu qui lui restait de mœurs et d’esprit de famille. Ces grandes, ces saintes idées de raison, de liberté, de progrès, de