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SOUVENIRS




I


Mes premiers souvenirs dont quelques-uns, si humbles qu’ils soient, pourront peut-être servir un jour à l’histoire, remontent loin, car ils sont antérieurs à la Révolution de 1848 ; mais ils sont très précis dans ma mémoire.

11 y eut, au commencement de février de cette année, une fête d’enfants aux Tuileries pour les jours gras. J’y assistai. Le soir d’un de ces jours, j’étais debout sur une petite chaise ; on me revêtait d’une jolie robe (je n’avais pas cinq ans), et je crois, Dieu me pardonne, qu’on me frisait. J’aurais, à ce qu’on m’a rapporté depuis, dit à ceux qui m’habillaient : « Comme ce serait drôle si ce soir le Roi tombait de son trône ! » Ai-je vraiment prononcé ces paroles prophétiques ? Je ne m’en souviens pas, mais cela est bien possible, car, pour mon imagination enfantine, un trône était un siège en or très élevé auquel on accédait par plusieurs marches. Ce dont je me souviens en revanche très bien, c’est de la soirée elle-même. On jouait le Malade imaginaire et j’eus une vive émotion au moment où la petite Angélique est menacée des verges qu’on lui montre. Ce n’est pas que j’eusse jamais connu ce genre de châtiments qui n’entrait pas dans les procédés d’éducation de mes parents, mais l’idée qu’une petite fille allait peut-être être fouettée devant moi m’impressionnait beaucoup.

Je me souviens également que, pendant un entr’acte, la reine Amélie passa dans nos rangs et tendit la main à chacun de nous. Quand elle arriva à moi, intimidé, j’hésitai, car je ne savais pas très bien comment on donne la main à une reine. « Tapez-moi dans la main,» me dit-elle, et je crois voir encore