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ce fut le Taurus qui endigua la marée montante de l’invasion arabe… Une série de postes allant du Taurus à Constantinople signalait par ses feux à la capitale byzantine l’approche des envahisseurs musulmans. »

La vérité, c’est qu’avant l’ouverture du tunnel (que les Allemands achevèrent et mirent en exploitation pendant la guerre,) le voyageur goûtait dans ces montagnes un plaisir de sport. Mal assis, mal nourris, pressés par un sommeil invincible, dont à chaque chaos nous nous évadions, en même temps que nous risquions de glisser de la voiture, nous paraissions, Contenau et moi, deux pauvres gens ; mais que nous étions heureux ! Quelle expérience que cette prodigieuse simplification où nous sommes sensibles à notre être physique et plongés dans le grand air, noyés dans l’immense nature ! Imbéciles que nous sommes de ne pas introduire, par intervalles, dans nos vies, quelques grandes semaines de cette barbarie, de cette animalité féconde…

Enfin, à six heures du matin, nos attelages échevelés se précipitaient tout au bas de la descente, sur le plateau d’Anatolie, dans la gare de Bozantis.

Notre épuisement, dans cette gare ! Nous regardions la salle d’attente et ses bancs de bois comme un paradis. Que nous aurions passé là une meilleure nuit qu’au han de Tekir ! Mes regrets s’avivèrent, quand le chef de gare nous dit que de Constantinople on l’avait averti de mon arrivée prochaine et qu’il eût à me céder sa chambre ! Mais Contenau accourt, tout joyeux.

— Vous savez, le vénérable cheikh, nos voituriers sont en train de le battre, parce qu’il ne veut pas les payer !

— Ah ! pardon, voituriers hypocrites, la voiture était à ma disposition. Monsieur m’a assez ennuyé, qu’il en ait au moins le profit !

Enfin le train paraît. La gare m’avait ébloui ; le wagon me fut une féerie. À peine installé, je m’y endormis. Contenau, tout de même. Il m’a avoué qu’il avait rêvé qu’il mangeait un fricandeau. Au milieu de ces délices, tout le jour, s’il nous arrivait de lever la tête jusqu’à la fenêtre, nous voyions des gares françaises, la barrière, les arbres verts, quelques voitures dans la cour, des petites maisons avec des tuiles, toute une France digne d’inspirer des vers à François Coppée.

Au soir, à Konia, où nous arrivâmes à 6 heures 30, cette impression fut merveilleusement confirmée. Quelques Français