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musulmans) et la maison des sœurs de la Sainte-Famille qui, sans aucune ressource, trouvent le moyen d’enseigner le français à 200 petites filles, nous les prions de nous conduire aux divers monuments.

D’abord au « tombeau de Sardanapale, » une formidable maçonnerie, longue de cent mètres, large de cinquante, haute de huit. Rien qu’un intérêt d’énigme. Cette maçonnerie figure sur les monnaies anciennes de Tarse. Et puis après ? Que dit-elle ? De quoi témoigne-t-elle ? À quoi peut-elle me faire penser ?

— Autrefois, me dit le capucin, elle servait de piédestal à une statue colossale qui représentait Sardanapale faisant un claquement de doigts, et au-dessous cette inscription : « Passant, mange, bois, jouis ; le reste ne vaut pas ce claquement de doigts. »

Ah ! voilà qui sûrement ne vient pas du dandy assyrien. Il connaissait mieux la vie. C’était un homme comblé. Manger, boire, et puis quoi encore ? Dieu, que tout cela laissait insatisfait ce grand rassasié ! Cette légende n’exprime pas l’opulente Cilicie antique, mais le cœur de son peuple ruiné. Mon Père, allons voir saint Paul.

Le capucin s’attriste beaucoup qu’il n’y ait à Tarse aucune église catholique dédiée au grand apôtre. Trente mosquées (dont quelques-unes sont des églises islamisées), une cathédrale d’Arméniens schismatiques, un temple protestant, et pour les catholiques, rien qu’un réduit obscur, une sorte de cave !.. Je lui promets d’en dire un mot, plus tard. Mais, pour l’heure, je lui demande de me conduire dans le quartier commerçant, de me faire voir, dans une échoppe de tisserand, quelque Cilicien qui tisse des poils de chèvres, et qui confectionne des couvertures pour tente… Voilà saint Paul ! Avec cette différence toutefois qu’au temps de ce grand homme, Tarse était pleine d’importantes écoles. Paul, au sortir de son échoppe, discutait le long du Cydnus avec les philosophes et les savants les plus illustres.

— Maintenant, mon Père, que je vous ai montré saint Paul, allons voir Cléopâtre.

J’espère la rencontrer, ce soir, dans ses barques sur le Cydnus… Le voilà, le fleuve, qui arrive du Taurus avec une allure de torrent, tout plein de cascades, de rochers et de sables.