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— Vous voyez, me disent ceux-ci, nous avons à cette heure soixante-cinq élèves. Nous leur donnons l’enseignement primaire français et arabe, et, pour lutter avec la mission anglaise, nous avons ouvert un cours d’anglais. Soixante-cinq petits garçons ! Nous en aurions aisément trois cents, Grecs, Arméniens, Musulmans, mais nous sommes si pauvres ! Songez qu’il n’y a pas douze de ces enfants pour nous payer. Et combien ? Quarante-cinq francs par an. Quant au Gouvernement français, il nous donne une allocation annuelle de trois cents francs. Aussi vous voyez dans quels locaux étroits nous sommes confinés… Malgré notre misère pourtant, depuis cinq ans, au fur et à mesure des occasions, nous avons acheté pour quinze mille francs de terrains contigus à notre résidence. J’ai en vue deux petits immeubles… Ils nous coûteraient dix mille francs… Avec vingt mille francs de bâtisses et de frais, en tout une affaire de trente mille francs, nous serions installés de manière à faire de l’effet sur la population. C’est dur ! Nous nous heurtons à un fanatisme extraordinaire des Grecs orthodoxes, soutenus avec une grande vigueur financière et politique par la Russie…

Des garçons, nous sommes passés aux filles. Elles sont une centaine, sous la direction des sœurs de Saint-Joseph de Lyon, et parlent un peu le français. Parmi elles, quinze orphelines, arrachées au massacre de 1909. Une petite de cinq à six ans me tend un bouquet. C’est la favorite des religieuses. Quand elles la recueillirent, son père et sa mère égorgés, elles durent d’abord lui trouver une nourrice. Tout cela pauvre, charmant, bien noble. Ces dames et leur petit monde occupent un immeuble « sans façade sur la rue » (ce qui les désole) à raison de neuf cents francs par an.

— Mais, continuent-elles, à chaque renouvellement de bail, le propriétaire, exploitant l’embarras où nous serions de déménager, augmente ses prétentions. Nous voudrions acheter un terrain et faire construire. Avec quel argent ? La France nous attribue pour notre école des filles cinq cents francs par an ; et de nos petits élèves, quasi personne ne paye. Ah ! nous trouverions des orphelines tant que nous voudrions, si nous pouvions les nourrir gratuitement. Les Américains en ont eu beaucoup après les massacres…

Ainsi me parlent les capucins et les sœurs de Saint-Joseph, et enfin ils me dévoilent leur grande pensée : fonder un hôpital