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brillant de la constellation, il saurait produire des œuvres qui ne feraient pas injure à ce grand maître ; mais Beausite, ayant renoncé à recevoir des élèves, n’avait pas cru devoir faire exception en faveur d’un jeune homme inconnu et sans appuis. Beausite n’était pas bienveillant : la seule fois qu’une peinture de Campton lui tomba sous les yeux, il laissa choir une épigramme qui fit le tour de Paris, mais qui frappa surtout sa victime par son manque absolu de justesse.

Si Campton avait continué d’admirer les tableaux de Beausite, il aurait oublié la malveillance du grand homme et même son défaut de sens critique. Seulement, à mesure que les convictions personnelles du jeune peintre se développaient, il s’apercevait que son idole n’en avait aucune, et que l’éblouissante maestria qui enveloppait encore ses ouvrages n’était que le rayonnement d’un astre mort.

Près de trente ans avaient passé. La gloire de Beausite n’était plus qu’un souvenir et le débutant dont il s’était moqué tenait sa place dans la faveur du public. La plupart des gens qui assiégeaient l’atelier de Campton, s’ils appartenaient au genre qu’il aimait le moins à peindre, étaient en général de ceux qui ont le moyen de payer les plus hauts prix ; et l’artiste avait eu récemment d’impérieuses raisons de gagner autant d’argent que possible. Il s’était donc arrangé, depuis deux ans, pour qu’il fût très difficile et très cher d’ « avoir son portrait par Campton. » Cette lourde journée de juillet avait vu défiler chez lui une foule de suppliants d’une espèce habituée à n’attendre le bon plaisir de personne et qui, cependant, avaient retardé leur départ pour les eaux, parce qu’on savait qu’il fallait accepter les conditions du maître ou s’adresser ailleurs.

Jamais sa besogne ne l’avait autant ennuyé ; plus il enregistrait de leurs sots visages, et plus la tâche lui devenait odieuse. Pourtant, dans les deux ou trois derniers jours, un nouvel élément d’intérêt avait apporté quelque variété dans la monotonie de son travail. Cet élément était dû à ce qu’il appelait « le trac de la guerre ; » il consistait dans l’effet produit sur les traits de ses modèles et de leurs amis par le pressentiment que quelque chose d’inconnu, d’incompréhensible et de pénible pourrait troubler sous peu le cours régulier de leurs Pour sa part, Campton, selon l’expression courante, « ne