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UN FILS AU FRONT


Première partie


I


Par la fin d’un après-midi d’été, John Campton, le portraitiste américain, debout dans son atelier de Montmartre, considérait un mauvais calendrier pendu à un clou.

Le calendrier marquait : 30 juillet 1914.

Campton fixait sur cette date un regard de satisfaction sans mélange. Son fils, son unique enfant, revenait d’Amérique ; il devait avoir débarqué le matin même à Southampton ; le lendemain, il serait à Paris auprès de lui. Pour rendre plus proche l’instant désiré, Campton, souriant de sa propre faiblesse, arracha la feuille et découvrit la date du 31. Puis il alla se mettre à la fenêtre et contempla, au delà de son bout de jardin mal tenu, la ville qui s’étendait vaporeuse à ses pieds, comme une mer d’un gris d’argent.

Beaucoup de visiteurs avaient traversé l’atelier ce jour-là. Après des années d’obscurité, le portrait de son fils George, exposé trois ans auparavant à la « Société des Peintres et Sculpteurs, » l’avait subitement mis en lumière.

Pareil à d’autres jeunes gens de sa génération, il était arrivé à Paris avec un respect exagéré pour les hommes célèbres qui faisaient du Salon, vers 1880, comme une mauvaise pièce écrite autour d’une douzaine d’étoiles. Il était persuadé que, s’il pouvait approcher suffisamment de Beausite, l’astre le plus