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émotif et sensible, est au fond raisonnable et réfléchi, et il préfère le fond à la forme, la compétence à l’éloquence. J’ai éprouvé personnellement qu’il n’est pas besoin de talent oratoire pour le convaincre. Comme dans les Deux Pigeons :


Vous direz : j’étais là, telle chose m’advint.


A la rigueur, il suffit d’une tunique bleu horizon pour évoquer la victoire. Mais, par le temps qui court, où les faits les plus évidents sont remis sans cesse en discussion, il est bon qu’un témoin vienne en retracer le récit. J’ai rencontré dans ma tournée M. Paul Fort, et nul n’était mieux qualifié que le prince des poètes pour parler de la poésie. Mgr Baudrillart et M. Le Goffic sont ensuite venus parler de la situation morale de la France : ils nageaient dans leur élément. — Continuons.

Sur la scène se déploie une des formes du génie national, et elle reste une école de langage. Nos tournées théâtrales sont donc très utiles. Mais il est nécessaire de rappeler aux imprésarios l’importance de leur mission. Telles pièces qui, à Paris dans l’atmosphère du boulevard, paraissent seulement un peu risquées, font scandale sur l’autre rive de l’Atlantique ; elles détournent du spectacle toute l’élite intellectuelle, et donnent de notre société l’opinion la plus fausse. La propagande ennemie, toujours aux aguets, a beau jeu alors de s’écrier : « Les voilà bien, ces Français corrompus ! peints par eux-mêmes ! » Mais l’observation a été faite ; elle a porté, et on songe même à installer entre Buenos-Ayres et Montevideo une troupe française qui, après nos pièces modernes et romantiques, aborderait notre théâtre classique. Souhaitons la réussite de cette entreprise.

Le livre français garde dans l’Amérique latine son prestige du XVIIIe siècle. Nos auteurs sont lus, compris, admirés entre tous, et chacun va vers ceux de nos écrivains qui représentent le mieux ses idées et ses goûts. Les études scientifiques se font surtout dans les ouvrages français et nos romans sont très lus, particulièrement ceux de Paul Bourget, René Bazin, Henry Bordeaux. Les littératures nationales ont suivi la nôtre. Mais entre l’éditeur et le lecteur, il y a l’intermédiaire, qui jusqu’à présent a vendu trop cher ; en Argentine et au Chili, une récente entreprise a démontré la fausseté de ce calcul, car