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Troie, » comme l’appelait alors notre Alexandre Dumas, se rangèrent au début un petit corps de 200 volontaires français. Rosas ayant menacé de mort tout étranger pris les armes à la main, les volontaires affluèrent et formèrent une légion française, dont l’effectif dépassa 3 000 combattants. Une légion italienne d’un millier d’hommes se forma en même temps sous le commandement de Garibaldi, qui devait rapporter de l’Uruguay sa chemise rouge et son puncho légendaire. En 1843, le Consul de France somma ses nationaux de déposer les armes et négocia leur départ avec le commandant de l’armée assiégeante. Les Français refusèrent d’obéir. Mais le contre-amiral Lainé vint officiellement, au nom du roi Louis-Philippe, exiger du Gouvernement uruguayen le licenciement de la Légion. Le colonel Thibault, qui la commandait, crut qu’il suffisait d’abandonner le nom et les insignes nationaux pour lui donner satisfaction ; il dit à ses soldats : « Camarades, on nous défend de porter notre cocarde ; nous ferons comme fit la garde impériale, nous la placerons sur notre cœur. Notre étendard est un obstacle, plions-le en attendant des jours meilleurs... » Cependant le désarmement effectif de tous les sujets français fut prescrit par un ordre formel. Alors, devant ces nouvelles exigences, et pour éviter toute difficulté diplomatique, Thibault fit déposer les armes ; mais ses soldats les reprirent aussitôt, ayant provisoirement adopté la nationalité uruguayenne, afin de pouvoir continuer la lutte pour l’indépendance du pays qui leur avait donné l’hospitalité. Ils formèrent la 2e Légion de la Garde nationale et le régiment des chasseurs basques. En recevant leur nouvel engagement, le ministre de la Guerre Pacheco y Obes, général, poète et orateur, leur dit : « Français ! en vérité jamais vous n’avez été plus dignes de ce nom qu’en ce moment où, pour le conserver pur, vous avez résolu de ne pas le manifester… L’unique conquête que cette terre pouvait souffrir aujourd’hui, c’est la vôtre ; vous la lui avez imposée. Oui, vous avez conquis pour toujours son amour, sa gratitude et son admiration !... » Par leur conduite au cours de cette longue lutte, nos braves compatriotes se montrèrent dignes d’inspirer de tels sentiments ; ils se sont transmis aux générations suivantes, et la reconnaissance, qui ennoblit les peuples comme les individus, donne une généreuse chaleur aux témoignages d’amitié prodigués aujourd’hui au soldat français.