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cordon qui encadrait notre itinéraire est partout rompu, nous sommes entourés, pressés, ne pouvant serrer que quelques-unes des milliers de mains qui se tendent vers nous. Spontanément, les braves légionnaires uruguayens m’entourent ; se tenant par le bras, ils me font un rempart mouvant et me frayent un passage jusqu’au landau qui m’attend. Je tremble en voyant la proximité du quai que nous longeons : pourvu que les remous de la foule ne précipitent personne dans la mer ! Mes compagnons, que ne protège pas la poitrine des légionnaires, s’avancent avec plus de peine. Ils sont littéralement portés par la foule, perdant pied à tout instant ; le colonel Thierry a eu son sabre faussé ; le lieutenant-colonel Icre a perdu une botte, qu’il retrouve avec peine ; le ministre de France et M. Dupeyrat, laminés, blêmes, perdent la respiration : ils jugent un peu rudes ces manifestations de l’amour populaire, et que je parle bien à mon aise quand je m’extasie sur ce spectacle magnifique. Et M. Washington Paulier, le président du Comité, chargé d’organiser notre réception, répond aux reproches que lui fait le chef du protocole : « C’est le peuple, monsieur, c’est le peuple ! » Et il a bien raison.

Nous voici en voiture, escortés par un escadron des Blandengues, le régiment de cavalerie où servait Artigas, fondateur de la République orientale, et qui a gardé son ancien uniforme comme les grenadiers de San Martin en Argentine. Au pas, à travers la foule toujours aussi dense, sous une pluie de fleurs tombant des balcons, nous nous rendons au Jockey Club, où nous accueillent les souhaits de bienvenue que nous adressent les représentants du Gouvernement, de la ville de Montevideo, du Club. Au balcon, nouvelle harangue, à laquelle je réponds quelques mots. Les délégations devaient ensuite défiler, mais la foule compacte refuse de circuler. Personne ne consent à quitter la place d’où il peut voir les représentants de la France. La nuit vient, et c’est par une porte de derrière que nous pouvons gagner nos automobiles. Je rends visite au ministre des Affaires étrangères, au ministre de la Guerre et de la Marine le général Buquet et au chef de l’Etat-major général, le général da Costa.

A la légation de France, récemment organisée dans un bel hôtel avec un goût parfait par Mme Auzouy, un dîner nous réunit à un certain nombre de notabilités du monde officiel et