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UNE NUIT AU CARAVANSÉRAIL

Au quitter d’Alep, à sept heures du matin, nous avons fait un peu de chemin de fer, puis à neuf heures, nous sommes descendus dans une gare où nous attendait une voiture. Et alors, grande journée monotone, d’un profond agrément. Quel repos que la fatigue physique toute seule ! Quelle détente de se laisser presser et pénétrer par la lumière, le grand air, les images successives, sans s’efforcer de rien lier, de rien organiser, de rien interpréter ! Toute la dignité de l’effort est déléguée à notre cheval. Nous roulons sur un long plateau entre deux chaînes de collines. C’est quelconque. Nos gens nous ont promis que nous déjeunerions sous un arbre. J’interroge, sous le soleil et le vent, la campagne : elle est complètement chauve.

Enfin, dans cette monotonie, nous arrivons au bout du plateau que nous suivons depuis quatre ou cinq heures, et soudain au bout d’une descente, là-bas, nous apparaît le lac d’Antioche, bleuâtre, au pied de hautes montagnes portant elles-mêmes des vapeurs d’azur. Et second miracle : un platane !

Nous y courons. Il est deux heures. Sous ce platane, où Xerxès eût suspendu une couronne d’or, nous déjeunons auprès d’une source. On parle des privations des explorateurs ! Sans doute, mais n’oubliez pas leurs délices d’ouvrir une boîte de confitures, une heureuse conserve de petits pois.

Vers quatre heures, traversée d’une plaine où des herbes trahissent le marécage. Un pays si infesté de moustiques que parfois ils empêchent de passer. Aujourd’hui le grand vent brise leur malice. Au reste, le matin, on nous a recommandé de prendre de la quinine. Puis on monte légèrement vers un col entouré de collines dénudées.

Toute cette route est semée, à droite et à gauche, dans les terres, de groupes d’habitations. Logés dans des espèces de paillotes nègres, huttes de terre sèche mêlée de roseaux, des villageois cultivent, font la récolte, et ma foi, s’ils n’étaient pas habillés comme les frères de Joseph dans l’opéra de Méhul, s’il n’y avait pas leurs chameaux, je les prendrais dans ce canton bien cultivé pour des paysans de chez nous.

À cinq heures, nous franchissons, sur une suite de ponts, des marécages couverts d’épaisses forêts de roseaux. C’est le