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Hélas ! la guerre est venue. Et, bien contre notre gré, nous nous sommes manqué de parole, l’un à l’autre.

Contenau ne nous écoute pas. Il est prodigieusement agité, il va et vient dans le wagon, stationne sur la plate-forme, se penche aux fenêtres : il n’en a qu’aux Hittites. Il est tout entier à surveiller l’immense paysage, pour y guetter une trace de ce que ces « fils de Heth » y furent quinze siècles avant Jésus-Christ.

— Arrivez, arrivez, crie-t-il, les voilà…

Je me rappelle que M. Gustave Schlumberger, un jour, chez Bourget, m’a raconté de quelle manière, en 1879, il lui fut donné de voir apparaître ces Hétéens de la Bible, ces Hittites, comme nous disons maintenant, que la nuit et le silence recouvraient. Schlumberger se promenait dans le vieux bazar de Constantinople (aujourd’hui détruit), à la chasse des monnaies antiques, quand il aperçut un beau gars, vêtu du pittoresque costume des paysans de l’Anatolie, qui cherchait à vendre d’étranges objets renfermés dans une immense bourse de cuir, une vingtaine de petits cônes de terre cuite, d’aspect très ancien, sur la base desquels étaient figurées une foule de représentations bizarres, têtes humaines, chaussures étranges, têtes d’animaux, etc. Ces petits monuments que Schlumberger acheta pour deux, trois livres turques, n’étaient autres que des sceaux de princes hittites, contemporains des plus vieilles civilisations de l’Asie antérieure. Publiés d’abord par Georges Perrot, puis par le grand archéologue et philologue anglais, Henry Sayce, ils figurent encore dans les collections de notre confrère et sont, à peu près, les premiers sceaux hittites retrouvés.

On ne déchiffre que très incomplètement l’écriture de ce vieux peuple. Mais on retrouve ses villes. Et Contenau nous appelle pour nous faire voir l’antique Kadesh. Sur la gauche du chemin de fer, il nous montre un monticule de terre, un tell, recouvert en partie par un village et par un cimetière, qui rompt la prodigieuse platitude de la plaine.

— Les belles fouilles qu’il y aurait à faire ici !

Il nous explique avec passion que lorsque l’égyptien Ramsès II, dans sa campagne de Syrie, vers 1295 avant J-C., arriva sur ce point, il y rencontra le gros des Hittites que commandait leur roi Moutallou. Mal gardé, il se fit surprendre, fut à deux doigts de la défaite, et ne chercha plus à prendre la ville de