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nature, noblement ambitieux, ils jugent que la meilleure façon pour monter dans la société, c’est de savoir notre langue. Ils ignorent comment ils exploiteront cette connaissance, mais ils se disent : « Il faut que je possède le français aussi bien et mieux que mon voisin. » Et de fait beaucoup d’entre eux s’expriment avec une netteté élégante, un vrai sentiment littéraire. Il y a plus : par delà les mots, ils recherchent un idéal, qu’ils nomment la France et qu’ils désirent avec une nostalgie d’exilés. Le Liban est plein d’angoisses et d’appels. Le gémissement des pleureuses antiques continue d’y flotter et de nous assaillir. Ce serait les Vosges, les Alpes ou les Pyrénées, s’il ne s’y mêlait la sorte de tristesse voluptueuse et de douleur brisante auxquelles ont donné un corps les cultes des sanctuaires et le cortège sanglotant des Bacchantes.

Le jour tombait à notre arrivée dans Baalbek. De la gare nous sommes allés à pied, à travers les jardins, en suivant la rivière, jusqu’à l’hôtel persan. Les musulmanes étaient assises le long de l’eau, sous les peupliers, avec leurs enfants.

Sorti après diner, je n’ai même plus regardé les ruines des temples. Je me promenais sous le clair de lune, entre les jeunes arbres immobiles et les grandes collines ; je me disais que nous atteignions aux jours les plus longs de l’année. Rien de plus, mais sur ce thème insignifiant, quelle musique répand la lumière blanche d’une nuit d’Asie !


HOMS

À la première station après Baalbek, je vois arriver un religieux, affreux de chaleur et de fatigue, que je prie de monter dans mon wagon, et qui se présente :

— Le Père Claude Chevrey, missionnaire jésuite français. (Il faut entendre l’accent d’orgueil qu’il met sur ce dernier mot.)

Il rentre à Homs, après une tournée d’inspection dans les écoles des villages.

— Eh bien ! mon Père, comment vont nos intérêts à Homs et dans la région ?

— Homs est divisé entre trois grandes influences : la moscovite, l’américaine et la française. Les Russes y travaillent depuis 1886. Ils ont 49 maîtres et maîtresses, 1 410 élèves, garçons et filles. Chez eux les fournitures scolaires sont gratuites. La