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absolue. Comme tout était beau, quand il était en route ! Et puis, sur place, position fausse d’être venu convertir des inconvertissables. Inertie qui le gagne et qu’aggrave le climat. Je vois se ralentir le battement de ce cœur désabusé. Le missionnaire n’a plus de la mission que le paysage. Se rappeler la mort de François Xavier, l’apôtre des Indes, au rivage chinois. Une des minutes les plus tragiques de l’histoire des grandes âmes.

Ils ne nous avoueront jamais ces multiples déceptions, qu’ils se cachent à eux-mêmes, mais nous ne sommes pas insensibles au point de ne pas deviner ce que leur bel équilibre dissimule de renoncement douloureux. Pour cette souffrance muette, je les aime et les admire davantage. Je les admire de ce mélange d’idéal et de platitude où ils consument leurs jours d’exil. Je les admire dans l’humble vérité de leur vie quotidienne et dans les soudains sursauts de foi, de poésie, qui les ramènent par instants aux enthousiasmes de leur première vocation : immense bonne volonté, demi-réussite, relèvement continuel par la force du rêve, et puis trébuchement. Je les admire dans la tristesse qu’à tort ou à raison je suppose qu’ils ressentent, parfois, durant ces longues journées d’un climat épuisant. Je les admire dans ce royaume d’avenir incertain.

L’autre jour, j’étais retourné à Ghazir. Je regardais la maison qui s’élève sur l’emplacement de celle qu’habita Renan. Un jeune homme, que je ne connais pas, m’aborda, et dans un français excellent répondit avec obligeance à plusieurs de mes questions. Et soudain, comme je lui demandais où se trouvait, au temps de Renan, le collège des Jésuites, il me dit avec véhémence :

— Quand donc mettra-t-on ici une plaque contre les Pères, et pour rappeler que la Vie de Jésus y fut écrite ?

Je regardai cet enfant battre le sein de sa nourrice, et je songeai au blasphème de Caliban : « Tu m’as donné la parole ; je m’en sers pour te maudire. »

Qu’est-ce que cette révolte ? Je voudrais comprendre. Est-ce la protestation d’une race gênée dans ses mœurs ? L’effet d’une instruction qui crée des énergies inemployées ? Une tentative de la loge de Beyrouth, dont on m’a affirmé pourtant qu’elle en est à l’étape libérale, sans anticléricalisme ? Je ne connais pas le problème.

— Pour moi, lui dis-je, je rêve d’une inscription, dont