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naguère les représentants de la droite ; le tribunal s’éparpilla sur les bancs de la gauche ; les avocats se postèrent en bas de l’hémicycle sous le bureau présidentiel.

L’auditeur prend la parole pour le réquisitoire au milieu d’un silence impressionnant. Bien que les neuf dixièmes des prévenus ne comprennent pas l’allemand, ils devinent à la voix rauque, brutale de Stœber, à ses gestes coupants et à l’éclair de son regard, qu’il est implacable pour eux.

Après avoir félicité la police de son beau zèle, deux heures durant il bâtit son formidable système d’accusation, qu’il étaye sur les aveux des accusés. Avec passion, avec outrance, il tente de prouver qu’il y avait complot, alors que la plupart des conspirateurs ne se connaissaient même pas ; et, dans une péroraison emphatique, il évoque aux yeux de la Cour les graves dangers auxquels pareilles menées exposent l’armée allemande. Contre neuf des accusés, à la stupéfaction de tous les assistants et surtout des avocats qui s’attendaient à plus d’indulgence, il requiert la peine de mort pour crime de haute trahison « consommée ; » ces victimes de la justice allemande sont les chefs de la soi-disant « organisation » : la comtesse Jeanne de Belleville et Mlle Thuliez en France ; l’avocat Albert Libiez, l’ingénieur Hermann Capiau et le pharmacien Georges Derveau, dans le Borinage ; Edith Cavell qui hébergea les dispersés dans son Institut de Bruxelles et les achemina vers la Hollande ; Philippe Baucq, qui repéra les routes de la frontière ; Ada Bodart et le pharmacien Louis Severin, de Bruxelles.

À la charge des autres prévenus, il requiert l’application de peines rigoureuses.

L’interprète traduit aux accusés les conclusions du commissaire du gouvernement. La plupart d’entre eux font bonne contenance. Miss Cavell conserve son dogme imperturbable, tandis que Baucq semble atterré. Mlle Thuliez, dit Me Sadi Kirschen, avait peine à comprendre la terrible réalité ; la comtesse de Belleville avait l’air abasourdi ; quant à Libiez, très pale, ses gestes nerveux et saccadés trahissaient son émotion ; les yeux de Severin clignotaient comme s’il n’eussent pu supporter la lumière ; Mme Crabbé s’était évanouie.

Après Stoeber les avocats prennent tour à tour la parole. Me Dorff, qui avait assumé la défense de Baucq, Capiau, Libiez, Hostelet, Cayron fils et des époux Crabbé, parle le premier. Il