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Code allemand d’une peine allant jusqu’à dix ans de travaux forcés ; que, par surcroît, comme chrétien, ne pas dire la vérité c’est commeltre un péché mortel. Après l’avoir fait ainsi intimider, l’auditeur l’interroge :

En premier lieu : Baucq portait-il à Mme  Bodart des Libre Belgique que lui était chargé de distribuer ? Deuxième point : Baucq a-t-il dit chez lui et devant lui à sa mère qu’il était occupé à trouver une route sûre pour faire franchir la frontière hollandaise aux soldats ? Si l’enfant répond affirmativement, non seulement Baucq encourt la peine la plus grave prévue par le Code mais encore la complicité de Mme  Bodart devient évidente.

Il répond oui. Baucq, ému à bon droit, intervient pour faire observer que l’enfant a mal compris la question faite en français, qu’il a l’habitude de parler anglais, qu’il a été troublé que sa méprise s’explique par sa jeunesse et que lui Baucq n’a pas dit : « Je suis occupé à repérer une route, » mais « on est occupé à… »

Aucune réplique ne sort de la bouche de l’auditeur mué en sphynx. C’est pourtant en raison de cette déposition que Baucq va être condamné à mort et Mme  Bodart à quinze ans de travaux forcés.

Le jeune garçon est autorisé à embrasser sa mère et l’étreinte douloureuse de ces deux êtres met des larmes dans les yeux de tous les assistants.

C’est sur cette étreinte que s’achèvent les débats du jeudi ; à sept heures du soir, l’audience est déclarée suspendue jusqu’au lendemain 8 octobre, à neuf heures du matin.

La deuxième séance de la Cour martiale a lieu le 8 octobre 1915 à la Chambre des députés, encore frémissante des scènes patriotiques qui s’y déroulèrent à la suprême assemblée du 4 août 1914, encore toute vibrante de la proclamation du Roi annonçant que l’étranger venait de franchir la frontière et affirmant solennellement qu’un peuple qui défend sa liberté ne peut mourir. De même qu’ils avaient profané l’enceinte du Sénat, les Allemands ne craignirent pas de souiller cet autre sanctuaire des lois : la Chambre des représentants de la nation. Ils y mettaient une sorte de sadisme.

Les accusés s’installèrent sur les banquettes où siégeaient