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devait frapper que des traîtres à leur pays et non pas des étrangers ignorants du Code allemand, qui remplissaient, avec un absolu désintéressement, une admirable mission patriotique.

L’arrestation de Philippe Baucq remonte au 31 juillet 1915 ; le procès a commencé le 7 octobre, c’est-à-dire qu’il n’a fallu que deux mois pour instruire une affaire dans laquelle sont impliquées trente-cinq personnes. Si nous trouvons ce délai fort court, que dire de la durée des débats menés tambour battant par un auditeur militaire[1] pressé d’en finir et qui, bousculant accusés et témoins, trouve moyen de tout bâcler en deux audiences, qui eurent lieu le jeudi 7 et le vendredi 8 octobre, le samedi ayant été réservé au jugement ?

En deux jours trente-cinq accusés ont été interrogés, les témoins entendus, les avocats ont prononcé leurs plaidoiries et l’auditeur militaire son réquisitoire…

La première séance du procès eut lieu dans la salle des séances du Sénat, la deuxième dans la salle de la Chambre des députés, le Sénat étant retenu ce jour-là pour une conférence. L’auditeur militaire, Stoeber, avait voulu ce théâtral décor pour la mise en scène de la tragédie où il faisait de sensationnels débuts[2].

Dans le vaste hémicycle du Sénat, que ses fresques encadrées d’or, les emblèmes de la nation et les lambris de bois précieux rendent encore plus solennel, des officiers allemands en grand uniforme se sont érigés en tribunal pour condamner des patriotes belges, français et anglais dont le seul crime consiste à avoir rendu service à leur pays dans la mesure de leurs forces. Les trente-cinq prévenus, dont beaucoup ne se connaissent pas, et qui ignorent les rapports qui peuvent exister entre eux, sont invités à se caser dans les fauteuils des législateurs. Des soldats raides et compassés sont plantés çà et là, comme des jalons, pour les surveiller.

Le commissaire du Gouvernement, bel homme, grand,

  1. Ou commissaire du Gouvernement.
  2. Cf. l’ouvrage de Me Kirschen, Devant les Conseils de guerre allemands, et l’Affaire mise Cavell, pages 52 à 71.