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cette affirmation est invraisemblable étant donné que j’ignore totalement qui est le chef de l’espionnage. Pour terminer notre entretien, je reçois un choc formidable qui a failli m’assommer. M. Henry m’apprend que les grands chefs lui ont reproché de ne pas avoir arrêté ma femme, ce qui, en présence de mon mutisme, devra peut-être avoir lieu[1]. « D’ailleurs, continue-t-il, nous savons maintenant que votre femme est au courant de bien des choses. » Je proteste avec rage : « Non, ma femme ne sait rien, absolument rien du tout, et je renonce à croire qu’il y ait un homme capable de commettre une pareille monstruosité, ce crime de l’arrêter, de l’arracher à mes enfants… »

Je suis avisé que l’on continuera de me questionner cet après-midi. Ils veulent me faire souffrir, on dirait qu’ils ont un malin plaisir à me piquer avec des fers rougis au feu. Mais rien ne pourra m’ébranler. Je finis par m’habituer à ces sortes de tortures, car ma peau s’est endurcie et cependant la perspective de voir arrêter ma chère femme me fait frémir… Certaines paroles de M. Henry me donnent à réfléchir et j’espère que mon esprit fréquemment troublé me fait entrevoir la situation plus mauvaise qu’elle n’est en réalité. En effet, pendant que M. Van Dievoet était confronté avec moi, M. Henry a cru devoir dire : « Oui, M. Baucq, vous êtes intelligent, vous êtes même plus, car vous êtes malin. Je dois le reconnaître, car vous avez été plus fort que nous et il serait à souhaiter que tous les Belges se comportent comme vous. » De ces paroles, je crois pouvoir déduire que je me suis habilement défendu…

Je rentre dans ma cellule et reste pensif ; je suis repris par cette obsession dont j’ai été plusieurs fois le jouet. On va arrêter ma femme, demain matin, quand elle ira demander à M. le lieutenant Bergan le laissez-passer pour me voir ; il l’accordera et ensuite la mettra en état d’arrestation ; je me trouve dans l’impossibilité de manger maintenant ; maintes tristes pensées provoquent en moi une tempête, un bouleversement extraordinaire, ma gorge devient aride, mon pouls plus fréquent ; parfois, j’ai des visions étranges qui m’effrayent.

Le soir arrive et la suite de l’interrogatoire n’a pas eu lieu.

  1. Notons la barbarie de cette pression.