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Maintenant les îlots de lumière n’arrivant plus au fond de ma cellule, les ombres s’atténuent et deviennent plus vagues, la marée lumineuse est descendante et se retire petit à petit, elle s’en va là-bas vers l’horizon et la pénombre envahit l’intérieur de l’habitation…, Oh ! elle doit être déjà loin, bien loin, car l’obscurité devient plus grande, s’accentue, et la nuit inonde la terre…

Lundi, 13 septembre.

Je suis bien las de mes émotions d’hier. Le voisin L… me lit une de ses plus jolies compositions en vers, celle-ci lui a été inspirée par la détente de nerfs que j’ai eue au cours de notre conversation d’hier.

Chez les autres voisins, il y a un changement ; le Français a été remplacé par M. Dervaux, pharmacien.

Mardi, 14 septembre.

Le temps est gris, il pleut. J’adresse à ma femme quelques quatrains qui contiennent une des plus douces pensées de mon âme meurtrie et rappelle le bon temps de notre printemps.

Une carte m’est remise, elle m’a été écrite par ma sœur, qui me remercie gentiment pour le sonnet que je lui ai envoyé. Sa correspondance doit être, ce me semble, en partie interceptée. Cette supposition me vient à l’esprit, en me rappelant que ma chère femme m’avait prévenu dimanche dernier qu’elle et Yvonne m’avaient écrit une carte le vendredi précédent. Cela me rend de mauvaise humeur.

Mercredi, 15 septembre.

Vers onze heures, on m’adjoint un compagnon qui a été arrêté ce matin chez lui, avenue Clays, il s’appelle N. Neels de Rhode. Comme tous ceux qui entrent en prison, il est abattu, ses yeux hagards regardent les murs. Je lui offre mon siège, il s’assied, tient sa tête entre ses mains et reste là accablé, presque anéanti. Immédiatement, je me mets à l’œuvre pour lui remonter le moral. Je le questionne et j’apprends que depuis ce matin, il a déjà subi cinq interrogatoires. On le soupçonne surtout d’écrire dans la Libre Belgique. Au cours de son dernier interrogatoire, se trouvant dans un état de surexcitation bien compréhensible, il a dit à l’officier supérieur devant lequel