compris ce qui s’est passé et deviendrait de plus en plus méchante : elle aboie lorsqu’elle voit des hommes ; quand un cycliste passe, il paraît qu’elle le poursuit, espérant retrouver celui dont elle était le fidèle gardien.
Je fais connaître aux miens la bonté dont M. le lieutenant Bergan a fait preuve à mon égard au cours de l’instruction. Quant à M. Henry, j’ignore si, sous ses mouvements brusques et rudes, il ne cache peut-être point un cœur plein de compassion. Ces messieurs me trouvent joyeux, car ils voient sur mes lèvres des.rires destinés à tranquilliser ceux qui me sont chers. J’aurais voulu dire la vérité, j’aurais voulu crier du fond de mes entrailles que tout en moi était souffrance et torture. Oui, messieurs, je ris alors que mon cœur saigne, je ris tandis que la douleur me transperce.
J’embrasse ma femme et mes enfants, et elles retournent vers la chère maison, où manque celui qu’elles adorent et qui git en prison.
Je réintègre ma cellule et m’empresse d’aller raconter au voisin L… ce qui venait de se passer et de lui communiquer mes impressions. Je commence ma narration et tout à coup, des larmes jaillissent de mes yeux… je m’excuse de ne pouvoir continuer… et tout ce que mon cœur avait contenu au cours de l’entrevue finit par s’échapper. J’éclate en sanglots, je crie, je pleure, les larmes viennent abondantes, semblables à l’eau qui jaillit de la source que la bêche du terrassier vient de mettre à découvert ; ma tête tournait, je ne pensais plus, tout mon corps était secoué par des frissons. Jamais, je ne me suis trouvé dans un état pareil qui résulte, je suppose, de la détente des nerfs trop fortement contractés pendant l’entrevue avec ma femme et mes enfants. D’autre part, il est des heures où l’on comprend subitement ce qu’on ne pressentait pas jusqu’alors. Oui, dans mon immense douleur, il me semble que je m’aperçois seulement des richesses de mon cœur et que jamais je n’ai eu pour ceux qui me sont chers un amour si grand, si profond ; oh ! oui, ce n’est que dans l’adversité que l’on apprend à s’aimer : alors seulement, on retrouve ce sentiment perdu au milieu des agitations de l’existence fiévreuse et mouvementée de notre société où nous finissons par ignorer les joies suprêmes, les trésors de bonté et de tendresse que nous portons en nous. Enfin, j’ai pu reprendre la conversation interrompue…