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Une demi-heure plus tard, on approche de ma cellule et mon numéro (72) est nommé, des minutes paraissent longues comme des heures… et le paquet n’arrive toujours pas.

Il est cinq heures, j’ai l’esprit hanté par cette idée que ma chère femme est en prison… j’écoute et crois l’avoir entendue tousser, oui, ce doit être elle.

Je signale à mes voisins combien je suis navré, ceux-ci sont d’avis que je ne dois pas m’inquiéter outre mesure de ce contre-temps, qui ne prouve d’ailleurs nullement que ma chère femme ait été arrêtée. Au fond, ils ont peut-être raison, et j’ai tort de m’alarmer ainsi ; ma confiance renaît, et mon désespoir m’abandonne peu à peu…

Le voisin G… s’est vu adjoindre deux compagnons, l’un est M. Cafnail (Cavenaile), pharmacien, l’autre est un Français. Ils se trouvent donc à trois dans une cellule. J’ai omis de dire que les femmes des deux pharmaciens sont également en prison. N’est-ce pas effrayant, surtout quand on a des enfants ?…

Dimanche, 29 août.

Un voile sombre paraît envelopper mon âme ; à ma tristesse habituelle du dimanche viennent s’ajouter la déception et l’anxiété que j’ai éprouvées en ne recevant, au cours de la semaine écoulée, aucun envoi de la chère maison.

Un ciel lourd et bas, couleur de plomb, semble compatir à mes peines. Par intermittence, je me pose cette question : « Que se passe-t-il, mon Dieu, que se passe-t-il ? » Parfois je reste en extase devant les papiers qui ont enfermé les jolies choses reçues précédemment et me rappellent les douces émotions que j’ai ressenties en les recevant. Ma solitude me pèse davantage, je me sens plus isolé, je sens mon pauvre cœur fatigué. L’orgue laisse échapper sa musique religieuse, je me prosterne et prie.

Dans l’après-midi, j’ai une agréable conversation avec le voisin L…

Lundi, 30 août.

Toujours pensif, je cherchais et passais en revue toutes les suppositions possibles pour arriver à m’expliquer par suite de quelles circonstances j’avais été privé de mon linge lorsque me parvint une carte postale de ma sœur. Ô joie ! je m’explique maintenant tout le mystère : elles n’ont pas obtenu le laissez-passer pour entrer à la prison.