Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 16.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fée. Ces petites émotions agréables adoucissent beaucoup ma captivité. Elles apportent un rayon de soleil vivifiant dans cette atmosphère glacée de mélancolie et soulagent mon cerveau qui souvent est encombré des tristes souvenirs de mon arrestation.

Je suis dans la joie et à côté de moi, le brave Toone attend vainement quelques nouvelles de chez lui ; il s’informe si je reçois de la correspondance et des envois de ma femme. Pauvre gars !… Il lui arrive de pleurer sa détresse, se figurant être seul au monde et pourtant il a une femme et des enfants… Il croit que sa correspondance n’arrive pas à destination et se renseigne pour savoir en combien de jours on peut obtenir une réponse… Ah ! jamais on ne pourra décrire l’horrible torture morale endurée par les hommes, braves et honnêtes, enfermés au cours de la guerre dans cette lugubre prison, que je hais.

Dimanche, 15 août.

Triste, triste journée… C’est ta fête, ma chère Maria, et depuis notre mariage, même avant, c’est la première fois que je ne puis te souhaiter bonne fête et t’embrasser. Cruelle destinée ! Au lieu de recevoir des fleurs et des souhaits, tu songeras à l’absent, tu seras seule avec la désolation en ton âme ; ma chère Maria, ne nous laissons pas accabler et réagissons. Le temps… le temps… voilà le grand maître. L’espérance, cette plante divine, nous apportera des jours meilleurs. Oh ! oui, nous aurons, les enfants et moi, l’occasion de célébrer joyeusement ta fête. Plus tard on se rattrapera, les bouquets paraîtront plus beaux et les souhaits plus sincères, car dans l’adversité, nous avons appris à mieux connaître les richesses de notre cœur. Nous avons appris à mieux aimer. Plein de tendresse, un sourire sur les lèvres, du fond du cœur, je te dis : bonne fête, ma chère Maria.

Brusquement s’élève la voix de l’orgue, qui déchire l’espace et retentit comme une fanfare guerrière. C’est la fête de l’Assomption. C’est la fête de Sainte Marie ! Les ondes sonores emplissent toute la vaste prison. L’orgue accompagné de chants religieux, graves, lents, est d’une douce mélancolie ; sa voix est tantôt plaintive et mélodieuse comme une prière montant vers les cieux, tantôt forte, vibrante et puissante. De longs accords marquent la fin d’un ensemble de phrases majestueuses, pareilles à un hymne de triomphe, célébrant la toute-puissance divine.