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la pensée s’agrandit de cet éloignement de toute relation ! C’est qu’aussi j’ai besoin de mes forces et de ma tête. Quand Ivan aura fini, Yorick commencera ; c’est une rude perspective, pour qui était plutôt née pour penser que pour agir ! Ces deux bonheurs à fonder demandent une immolation quotidienne. Yorick est un goguenard ; le petit coquin fera du drôlatique ; il a un œil qui projette au loin son intelligence. Ivan est nerveux et grave, il me donne beaucoup plus de peine que le gros ne m’en donnera. Nous sommes tellement identiques que, s’il présente l’angle, c’est aussi un angle qui lui répond ; il ne faudrait pas cela. Mais je ne puis calmer ce besoin immense de perfection, d’une perfection qu’il me semble fait pour atteindre. Puis ne dois-je pas être vraie avant tout ? N’est-ce pas la moralité de mon éducation, qui péchera partant d’autres choses ? Mais de quoi vais-je vous entretenir, vous que le présent absorbe ? Quel intérêt peut-il vous rester pour les détails de ménage ?

Adieu, dearest, adieu ! que le monde vous accueille toujours dans ses palais de rubis et de saphirs ; que les femmes aient toutes des yeux célestes et des cheveux soyeux pour vous, afin que vous recueilliez là autant que vous y placez ! Nous qui n’avons qu’un soleil, nous lui demanderions seulement d’être un peu plus bénin ; il fait un froid si constant que je m’émerveille chaque jour du brillant coloris de mes anémones. Si une bénédiction d’amie peut jeter quelques parfums doux dans votre vie, recevez la mienne. Le jour où Frapesle vous recevra, nous tuerons le veau gras.

ZULMA.


Je vous dénonce Carraud pour avoir souri quand il a su que vous aviez fait huit jours de prison [1]. (Il est commandant de la garde nationale du lieu).


De janvier à juin 1836 le labeur de Balzac a redoublé : il a fondé la Chronique de Paris, où il a publié la Messe de l’Athée, l’Interdiction, le Cabinet des Antiques, Facino Canet Ecce homo, les Martyrs ignorés. En juin, il est à bout de forces et, pour comble de disgrâce, à tous ces maux viennent s’ajouter les soucis d’un procès avec Buloz à propos

  1. Balzac avait en effet payé en bloc, du 27 avril an 4 mai 1836. sa dette envers la garde nationale, soit 7 jours d’écrou, à l’Hôtel des Haricots. L’Hôtel des Haricots ou de Bazancourt, prison de la garde nationale, n’existe plus. Il était situé sur l’emplacement actuel de la Halle aux vins.