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sur vous, puisque vous en avez si grand besoin ! Si l’un ou les autres venaient à vous défaillir, sachez qu’il y a aussi du bonheur dans le repos et dans la médiocrité. Voyez-vous Auguste quelquefois ? Mille bonnes amitiés du commandant ; de moi, mille pensées fortifiantes pour vos jours de dégoût.

Votre amie,

Z.


De novembre 1835 à mai 1836, la correspondance se ralentit. Elle reprend le 14 mai par cette lettre de Mme Carraud :


Vous vous plaignez de moi, carissimo ? Je vous ai écrit il y a bien longtemps, et, bien que vous ne m’ayez pas répondu, j’aurais pu vous écrire encore ; mais, à la hauteur où vous êtes, au point où vous envisagez le sort du monde, vous ne pouvez peut-être plus jeter un regard à d’anciennes familiarités. J’ai eu peur enfin, peur d’être déplacée, peur qu’une émanation du cœur ne pût se faire jour au milieu de votre fermentation cérébrale, si active qu’elle détruit toute autre chose. J’ai reçu vos livres, et une reconnaissance vulgaire eût cru devoir vous en accuser réception avec la dose d’encre voulue. Moi, j’ai autrement fait ; je les ai lus, lus, et puis j’ai médité longtemps. Fleur des pois [1], œuvre de talent, m’a serré le cœur ; j’y ai cherché quelque chose de vous que je n’y ai pas trouvé. Mon vieil ami, vous avez maintenant trop d’esprit pour moi, la vibration harmonique, de vous à moi, est interrompue : la Fleur des pois, qui a dû vous valoir d’immenses éloges, m’a fait mal. Oh ! ma Grenadière ! Vous aviez moins d’esprit alors... Séraphita me fait encore rêver sur vous ; je ne puis résoudre la question de votre foi en cette œuvre. Il faudrait que je vous l’entendisse lire, alors mes doutes seraient levés. Une bénédiction pour cette fraîche et pure création de Mina ! C’est un des anges blancs de Louis Lambert ; c’est une réminiscence d’un autre monde ; c’est l’amour pur, tel que toute jeune fille le doit sentir. Séraphitus est jaloux avec férocité, comme tous les hommes ; Séraphita est froidement coquette, comme toutes les femmes. Il y a dans ce livre des rêves du ciel, des scènes ravissantes ; mais il sera incompris en ce qu’il a de bon, et l’on n’appuiera que sur les absurdités et sur la religion de Swedenborg. Moi, je la condamne,

  1. Aujourd’hui le Contrat de mariage.