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c’est vrai, mais il lui faut autre chose encore, et il fallait du courage pour lui restituer cette chose. Moi je l’ai, ce courage ; je connais ses antécédents, et je me suis offerte pour sa caution, sans crainte de l’avenir, parce que j’étudie assez la nature humaine dans ma petite sphère et l’analyse assez minutieusement pour savoir ce qu’elle recèle en certains cas donnés. Cette caution, je ne la donnerais pas à tout le monde, même à des braves gens sans énergie, sans caractère. Quant à donner une direction à M. Chevalet, Dieu m’en garde ; je ne me suis jamais mêlée aussi directement de l’avenir de personne. Il est parti de sa profession pour me demander assistance et, comme il ne m’est pas prouvé qu’il puisse en prendre une autre, comme aussi je ne me permets pas de décider qu’il ne saurait réussir, j’ai fait selon son désir. La charité, mon cher Honoré, appliquée à l’aumône est une si petite chose qu’elle ne mérite pas qu’on y fasse attention ; je la comprends plus noble et plus grande, et si une âme blessée ; fût-ce celle d’un Vautrin, me demandait de la régénérer, aucune peine ne me coulerait pour cela, car je la croirais plus près de sa guérison que ne le serait celle de Rastignac. Jugez donc ce que je me suis sentie portée à faire pour un pauvre jeune homme dont la plus grande faute est d’avoir un père léger et plus jeune que son âge, qui n’a rien du reste à donner à son fils. Assez sur ce sujet : je n’ai pas le droit de vous imposer mes protégés. Je vous ai fait une demande, vous y avez répondu avec votre chaleureuse amitié, et je vous en remercie.

Je mettrai bien longtemps à vous lire, mais aussi je vous savourerai. Aimeriez-vous une existence sans lecture, sans conversation ? C’est une année d’épreuve ; autrefois Carraud me tenait un peu au courant, mais, à présent, le temps que maître Yorick ne dévore pas appartient à Ivan. Je n’ai pas même à moi le temps de ma toilette : c’est alors que je fais réciter Ivan, et que je fais faire l’analyse. Que diraient vos grandes dames, si elles savaient qu’une femme, jalouse tout comme elles d’être admise dans votre catégorie privilégiée, en est réduite là ? Et pourtant, je ne sens pas que mon âme perde rien à cette matérialisation apparente. J’ai une idée profonde vers laquelle convergent toutes les autres, une idée mère ; n’est-ce pas assez pour éviter la trop grande vulgarité ?

Adieu, cher, que l’argent et les faveurs des dames pleuvent