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gaz délétères, ils produiraient la mort instantanée, comme par exemple le cyanogène qui, aussitôt respiré, amènerait là coagulation du sang. Ou, enfin, ce qui semble probable, les comètes sont des mondes en fusion, leur queue est sans doute composée de métaux sublimés et réduits en vapeurs ; là encore serait la mort, sous mille formes diverses. La saveur cuivrée que les cholériques trouvent à l’air peut en donner une idée, car le choléra pourrait bien venir d’une semblable cause. Avez-vous quelquefois observé un verre d’eau dans lequel on a mis un morceau de sucre ? Il s’élève des filets huileux qui traversent l’eau sans la sucrer et qui, eux, sont le sucre même fondu. Ne se pourrait-il pas que la comète, étant la voisine de notre atmosphère, y laissât tomber de ces atomes de cuivre en vapeur, lesquels, reçus par ceux qui se trouvent dans leur direction, leur donneraient la mort, tandis que le voisin serait épargné [1] ?

Adieu, mon cher Honoré. J’ai fait du feu aujourd’hui : c’est vous dire que nous avons un triste temps. Adieu, que tous les plaisirs fassent bonne garde autour de vous et vous cachent les misères dont la vue pourrait vous affliger ! Je ne connais personne plus heureusement né que vous. Moi, j’ai beau m’abimer dans la contemplation d’une fleur, je ne puis rien oublier et je porte mes blessures partout, ce qui finit par faire un lourd fardeau, car chaque jour apporte avec lui sa peine en tribut. Voyez-vous Auguste ? Que fait-il ?

Carraud vous serre la main et vous pistonne à distance. Il a aujourd’hui cinquante-quatre ans et n’en est que plus gai.


Balzac a regret d’avoir contristé Mme Carraud, et le 28 août, il lui écrit de nouveau : « Quelque furibonde que fût ma lettre, cara, elle n’indiquait point que j’abandonnasse votre protégé. Si vous l’avez

  1. Les hypothèses du commandant Carraud, nous affirme M. Nordmann que nous avons consulté à leur propos, sont dignes d’intérêt, si l’on considère l’époque à laquelle elles ont été émises, époque où la spectroscopie était encore inconnue, et l’astrophysique peu avancée ; mais, ajoute-t-il, leur pessimisme est exagéré. La rencontre de la terre et de la comète de Halley s’est produite, comme on sait, le 18 mai 1910 et l’humanité ne fut pas anéantie. On ne s’aperçut même de rien. C’est que la quantité de cyanogène délétère contenue dans une queue de comète est si faible qu’elle ne pourrait nous incommoder plus que la faible proportion d’acide cyanhydrique contenu dans un petit verre de kirsch. D’ailleurs, conclut M. Nordmann, les queues et même les têtes de comètes sont d’une telle ténuité que leur rencontre en devient parfaitement inoffensive.