Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je rencontrai cette existence faussée, brisée, presque prête à s’anéantir, je me sentis toute bouleversée ; j’aurais voulu la rétablir tout de suite. J’ai pensé à vous, parce que, pour moi, vous êtes bien plus qu’un homme célèbre placé sur un haut piédestal, vous êtes l’homme bon, et j’ai dit que votre sympathie et votre concours ne me manqueraient pas. Une seule de ces choses, si toutes les trois sont trop difficiles, une seule, et je vous bénirai, pour vous être un instant détourné de votre route en ma faveur.

Je ne compte presque plus sur vous v la gloire vous a envahi. Puisse-t-elle vous rendre heureux ! Mais vous ne parlez plus mariage, y auriez-vous donc renoncé ? Ou l’auteur de la Physiologie attendrait-il la quarantaine pour associer à sa vie quelque sylphide ?

Adieu, cher, adieu ; à vous les parfums de l’amitié, qui, je l’espère, vous arriveront distincts de ceux de la flatterie, et plus suaves. Je me confie en vous pour ce qui regarde mon protégé, dont le sort me touche aussi vivement que chose au monde.

ZULMA.


Balzac tient enfin sa promesse. À la fin de juillet, il quitte Paris pour Frapesle où il est si impatiemment attendu. Mais son séjour fut de courte durée, huit jours environ, et le dimanche 9 août au malin, il traversait Bourges, garnison de son ami Périolas [1], et retournait à son labeur. Mme Carraud, prolongeant son séjour en cette ville, auprès de sa sœur malade, de Lapparent [2], écrivait à Balzac quelques jours après :


Bourges, 13 août 1835.

J’ai reçu la réponse de mon jeune homme aux questions que je lui ai faites, et je m’engage pour lui, âme pour âme. Si je me trompe, je ne croirai plus à rien, pas même à moi. Je crois donc que vous pouvez vous confier à lui en toute assurance ; il est peu communicatif, et cela doit vous convenir. Aura-t-il le talent que vous cherchez ? Voilà la seule question à laquelle je ne puis pas donner une solution satisfaisante. Seulement, je sais qu’il écrit mieux une lettre que qui que ce soit que j’aie encore

  1. Les Cahiers Balzaciens, I, 15-16.
  2. Marie-Clémence Tourangin, née en 1787, avait épousé en 1806 le comte Emmanuel de Lapparent.